tag:blogger.com,1999:blog-87657583820474818822024-02-08T08:39:57.428-08:00philo.avec.sciencesFernando Belohttp://www.blogger.com/profile/17937204465115284686noreply@blogger.comBlogger32125tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-59217099249253444352008-02-18T06:58:00.000-08:002013-05-08T11:59:56.986-07:00Une synthèse phénoménologique des Sciences (pas pour des gens pressées)<div align="justify">
<br />
PHILOSOPHIE-<i>AVEC</i>-SCIENCES<br />
Manifeste d’une Phénoménologie vraie<br />
<br />
Ao Artur Mário, à Inês,<br />
à Leonor, ao César e ao Gonçalo,<br />
à la passion de comprendre.<br />
En mémoire de Robert Davezies<br />
et de Michel Clévenot<br />
<br />
<br />
<br />
« D’un médecin qui ne connaît que la médecine,<br />
tu peux être sûr qu’il ne connaît même pas la médecine »<br />
(Letamendi, médecin espagnol du 19e siècle)<br />
<br />
La loi générale s’énoncera ainsi :<br />
un spécialiste qui ne connaît que sa spécialité,<br />
c’est sa spécialité elle-même qu’il ne connaît pas assez.<br />
<br />
<br />
Révision littéraire :<br />
Wally Bourdet</div>
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</div>
<div align="justify">
<br />
Un manifeste est un abrégé qui proclame l’éclosion d’un mouvement, d’un mouvement de pensée dans le cas. La phénoménologie étant l’un des principaux courants philosophiques du 20e siècle, ce manifeste annonce son tournant vers une philosophie avec les sciences concernant les domaines les plus décisifs, prises ici dans leur dimension philosophique.<br />
Le texte de référence dont celui-ci est l’abrégé s’intitule<br />
<br />
LE JEU DES SCIENCES <i>AVEC</i> HEIDEGGER ET DERRIDA<br />
<br />
Il a été publié en 2 volumes à l’enseigne des éditions de l’Harmattan, 2007. Ensuite un condensé <i>La Philosophie <b>avec</b> Sciences au XXe siècle, 2009. </i>Les lecteurs qui voudront en savoir plus y trouveront des démonstrations claires, des citations, des motivations à penser, voire à écrire.<br />
<br /></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-32771614063793443692008-02-18T06:51:00.000-08:002008-02-18T06:58:03.383-08:00Des scandales<div align="justify"><strong>Des scandales</strong><br /><br />1. Quelles ont été les principales découvertes scientifiques du 20e siècle ? À cette question peut-on répondre autrement que par une énumération empirique dépendante des choix de tout un chacun, peut-on répondre avec un critère rigoureux, à la fois philosophique et scientifique ? Combien de sciences y a-t-il ? Quelques centaines, recoupées par des mil­liers de spécialités, leurs limites passant au-dedans des voisines ? Qui sait répondre, qui en connaît assez pour pouvoir dire un chiffre qui ait un minimum de vraisem­blance ? Surtout pas un ‘spécialiste’, qui par définition ne connaît - mais très bien, trop peut-être - que son petit domai­ne. Les philosophes ? Mais, divisés en deux grands courants as­sez disjoints - la philosophie analytique anglo-saxonne, d’une part, côté continental, la phénoménologie prédominant sur des ten­dances pré ou post structuralistes –, ils sont eux aussi dissé­minés en multiples spécialités, selon des horizons fort diver­gents. Personne ne peut se targuer de ‘dominer’, tant soit peu, l’archipel indéfini de ces spécialités. Ce qui n’est pas forcément mauvais, il va de soi, car c’est ce qui annule le fantasme d’une domination du ‘monde’ par les ‘savants’, s’ils ne se contrôlent pas non plus entre eux. Mais l’éparpillement de ces savoirs est indécent en tant que savoir, justement.<br />2. Les deux courants dominant l’histoire philosophique du siècle dernier ont leur source chez Frege et Husserl, deux philosophes, logiciens et matheux, pas très éloignés l’un de l’autre, dont le dernier a inau­guré la phénoménologie avec le souci de la fondation des sciences et, sinon de leur unification, tout au moins de leur arti­culation : son dernier grand titre tournait toujours autour de « la crise des sciences européennes ». Or, deuxième scandale, cette phénoménologie qui, une centaine d’années plus tard, se porte plutôt bien - on publie des livres et des revues, on organise des congrès et des colloques, dont fait état un hebdomadaire dans la Toile (Web) qui a de nombreux abonnés -, semble ignorer presque totalement la question qui hantait son fondateur. Vous y chercherez en vain, des articles ou des chapitres de livres concernant les questions des sciences, moins encore celle de leur articulation. De même, du côté de la philosophie des sciences, dans ses dictionnaires, les courants de la phénoménologie actuelle brillent par leur absence. <em>C‘est ce double scandale qui pousse ce manifeste, le rend intempestif.</em><br />3. Revenons à la question plutôt insolite du début. Le 20e siècle a été indiscutablement celui d’un renouveau extraordinaire des sciences occidentales : quelles ont été leurs découvertes majeures, au regard des diverses sciences ? Pas tout à fait un ‘top ten’, mais s’il fallait élire dans les cinq principaux domaines – matière et énergie, vie, société, langues, psychisme humain – leur découverte majeure respective, comment procéderait-on ? Il ne faudrait surtout pas demander aux spécialistes, il va de soi, ils tireraient chacun du côté de leur spécialité, avec de très bonnes raisons. De même si l’on faisait des sondages dans le public cultivé ou les administrations universitaires. Est-ce qu’il faudrait que chaque domaine ait son critère à lui ? Déjà il ne serait pas simple de choisir entre la physique de la relativité et la mécanique quantique, tandis qu’il serait plus aisé du côté de la biologie moléculaire, sauf que la neurologie en souffrirait. Mais ensuite, les sciences dites sociales et humaines, comment s’y repérer ? Ont-elles connu des découvertes qu’on puisse mettre à côté de celles que l’on désigne d’habitude par ‘sciences’ sans éprouver le besoin d’ajouter un adjectif ?<br />4. Et si l’un des critères était celui de l’articulation entre ces domaines, les découvertes majeures étant celles qui la rendrait possible ? Par exemple, la théorie de l’atome et de la <em>molécule</em>, d’une part, la biologie <em>moléculaire</em>, de l’autre, ces deux théories ayant permis de rendre compte, à un niveau microscopique, des deux grands types de ‘matière’ de l’univers, l’inerte et la vivante, et de les articuler.<br />5. Un autre critère serait une façon de permettre de dépasser le déterminisme (que les scientifiques prisent tant) et le relativisme (qu’ils repoussent). La première question oblige à demander aux scientifiques pourquoi ont-ils besoin, de façon essentielle, d’un laboratoire. Quelles conditions y crée-t-on que ladite réalité n’a point ? Des conditions de détermination ? Qui n’existent donc pas en dehors de ses murs ? Le déterminisme ne serait-il pas dès lors une extrapolation indue ? La deuxième question inquiète la ‘vérité’ de leur travail qui, en tant qu’historiquement situé, n’échappe pas à la relativité : est-on sûr que ce que l’on cherche, ce qui vaut à quelques-uns des prix Nobel enviés, est destiné à devenir une erreur dans quelques générations ? Que les vérités des sciences, celles que Newton a découvertes, par exemple, qui ont triomphé pendant plus de deux siècles, seraient des vérités provisoires, de futures erreurs ? Que l’on n’a pas moyen d’affermir quelques découvertes majeures susceptibles de durer tant que la civilisation actuelle durera ?<br />6. Voici encore une autre question pas habituelle dans ces domaines : comment est-ce que l’on apprend ? Comment se forme un scientifique ? Comment peut-on comprendre, scientifique et philosophiquement, que quelqu’un soit ‘formé’ à certaines règles, théoriques et pratiques, qu’il doit donc répéter plus ou moins scrupuleusement, et que, d’autre part, son but soit de découvrir du ‘neuf’, en partie, y compris éventuellement par rapport à ces règles théoriques qui le forment ? Il s’agit du paradoxe interne au motif du <em>paradigme </em>proposé par Kuhn, pas seulement entre science normale et crise, mais aussi entre répétition de routine au laboratoire et passion de découvrir. Il demande une théorie de l’apprentissage que l’on voit mal sortir d’une quelconque spécialité scientifique, qui semble demander le concours articulé de divers domaines.<br />7. Ce qui nous permet d’interroger maintenant du côté phénoménologique. Le type de questions que l’on vient de poser ne semble pas susceptible de réponse à la façon husserlienne de l’enquête réflexive sur la conscience et ses actes, en partant de l’intuition sensible de la perception jusqu’à l’intuition eidétique des essences scientifiques. Si le motif de la réduction semble toujours convenir à l’arsenal scientifique - il correspond pour une bonne part à la bonne vieille définition inventée par l’école socratique de philosophie -, il nous faudra suivre les deux dissidents majeurs de l’approche husserlienne qui ont quitté la « région conscience » du maître, Heidegger et Derrida, et tâcher de trouver chez eux ce qui pourra aider à réélaborer une phénoménologie adéquate aux découvertes scientifiques majeures du siècle écoulé. D’une part, ils ont introduit le langage, le <em>logos</em>, dans le discours phénoménologique (ce langage, venu du dehors, travaille donc la ‘voix’ de la conscience), en rendant aux ‘concepts’ un poids historique que l’<em>idée </em>européenne classique ignorait. Or, celle-ci a été l’une des inventions majeures, cartésienne, du 17e siècle de Galilée et de Newton, précieuse dans la tâche, non seulement de critiquer l’aristotélisme médiéval, mais aussi d’arracher les phénomènes à leur contexte dit réel pour les amener à l’expérimentation au laboratoire. On coupait ainsi le sujet - qui a eu l’idée - de l’objet qu’elle représentait : de l’extérieur des choses (<em>extensio</em>) à l’intérieur de la pensée (<em>cogito</em>). Le langage, l’écriture, les instruments du laboratoire, tout ceci restait en-dehors, secondaire, le reste souvent encore aujourd’hui. C’est ce que la nouvelle phénoménologie doit évaluer, comment cette <em>représentation mentale</em>, critiquée par les philosophes depuis quelques décennies, reste l’obstacle ignoré dans le discours et la pensée des scientifiques. On sera ainsi conduit à mettre en question la notion même de ‘mental’, le ‘mind’ anglo-saxon.<br />8. D’autre part, Heidegger et Derrida ont élargi les problématiques de la pensée à toute l’histoire de l’Occident, philosophique mais aussi scientifique (et littéraire), ce qui a permis à Derrida de contester le rôle prépondérant du discours philosophique par rapport aux sciences : dès le début, dès Platon et Aristote tout au moins, il a dû subir l’impact (non logocentrique, grammatologique) du jeu des sciences. Le discours philosophique est historique, écrit en langues différentes, dont la traduction entre elles est aussi une question philosophique qui demande le recours aux philologies linguistiques et à l’histoire, sans qu’il puisse contrôler ce recours en dernière instance, comme il le voudrait. Il faut généraliser ceci : c’est la notion husserlienne de phénoménologie en tant que science philosophique rigoureuse qui devrait <em>fonder</em> les autres sciences, selon une position héritée tout au moins de Kant, qu’il faut refuser. Non pas philosophie <em>des</em> sciences, mais philosophie <em>avec</em> les sciences, sans qu’aucune ne soit en position de dernière instance.<br />9. Il s’agira en effet de faire <em>un pas au-delà de celui de Kuhn</em>, d’aller au-dedans des paradigmes disciplinaires de chaque science pour y discerner l’intromission du discours philosophique classique. Si l’on prend le motif d’épistème de <em>Les Mots et les Choses</em> de Foucault, on peut le distinguer du niveau plus strictement paradigmatique où s’articulent théorie et expérimentation ; ce niveau épistémique serait le niveau qui rassemble théoriquement les fragments d’expérimentation laboratoriale et qui pense leur retour aux phénomènes de ladite réalité, qui deviennent ainsi des phénomènes ‘connus’ scientifiquement. S’il est vrai que toute expérimentation est fragmentaire, c’est justement la reconstitution de leur ensemble qui constitue <em>le geste phénoménologique dans chaque science</em>. C’est ce geste, en grande partie ‘philosophique’, au sens de ce que Althusser, dans une toute autre perspective philosophique, appelait « la philosophie spontanée des savants », c’est dans ce geste qui agit de façon subreptice <em>la représentation mentale, en séparant sujet et objet selon le vieux dualisme de l’âme et du corps</em>, <em>corrélatif de l’opposition intérieur / extérieur ou dedans / dehors</em>, c’est ce geste qu’il s’agira de questionner de façon critique, en recourant à la littérature de divulgation dont on dispose aujourd’hui en langue française.<br />10. On a ainsi travaillé chacune des six disciplines, les cinq scientifiques et la phénoménologique, pour essayer d’en faire une <em>composition articulée</em>, susceptible en plus d’éclairer notre histoire greco-latino-européenne. Ce qui a été toutefois source de surprises permanentes, c’est comment chaque discipline changeait par l’effet de composition avec les autres et, d’autre part, comment ces changements la laissaient être d’une nouvelle façon qui soulignait les découvertes majeures dont on était parti ; Heidegger et Derrida eux-mêmes exhibaient des dimensions inédites de leurs pensées. Sans prétendre réduire la pensée de ces deux auteurs à ce que j’en ai retenu, <em>j’appelle phénoménologie cette philosophie avec sciences</em>, qui est susceptible, me semble-t-il, de rendre compte, de penser et de connaître, beaucoup des questions qui nous intéressent aujourd’hui, voire qui nous font mal. Mais il faut ajouter que c’est plus difficile que de rester dans sa spécialité.<br />11. L’astuce réside en restituer à la philosophie l’ampleur qu’elle avait avant la coupure kantienne – qui a rendu l’autonomie aux sciences, les libérant de la métaphysique (ce qui a été un grand bien !), et spécialisé la philosophie dans les tâches gnoséologiques -, l’ astuce de fermer deux siècles plus tard la parenthèse kantienne et <em>de faire profiter à la nouvelle phénoménologie de la dimension philosophique des diverses sciences et de leurs découvertes</em>. Nous en avons grand besoin, et d’abord en songeant aux graves problèmes pédagogiques de notre enseignement, dus en bonne partie au chaos disciplinaire, à la difficulté, pour les jeunes élèves, de lier les diverses choses qu’ils apprennent en de vases compartimentés. C’est un scandale.<br /><br /><br /><br /> </div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-61922235170109642802008-02-18T06:41:00.000-08:002008-02-18T06:51:15.630-08:00Élargir la réduction phénoménologique<div align="justify"><strong>Élargir la réduction phénoménologique<br /></strong><br />12. L’une des possibilités majeures du langage des hu­mains est de permettre de ‘suspendre’ le contexte situationnel du parleur et de l’écouteur (de l’écrivain et du lecteur) en vue de ‘créer’ un événement de parole apportant son contexte avec lui : deux exemples majeurs, je peux raconter un récit du passé ou une fiction sans tenir compte, dans ce récit, de mon ici et maintenant, de même que je peux penser, y compris rêver, sou­haiter, imaginer d’autres possibilités que celles du contexte situationnel où je le fais. Le ‘discursif’ (que Benveniste a distingué du ‘narratif’) permet deux modes des verbes : l’indicatif présent, qui, avec les autres indices de locution (‘je’, ‘tu’, ‘ici’, ‘maintenant’, et d’autres), renvoie à son énonciation, à son contexte, ‘indique’ ce qui est ‘présent’, et le subjonctif, qui renvoie à cette capacité de penser autre chose, en gardant toutefois le support du ‘je’ de l’énonciation (et le rapport au ‘tu’). De même, le récit évoqué peut garder ce support (auto récit, concernant le locuteur), que pourtant structu­rellement il exclut. Quel nom donner à cette possibilité de nos paroles de ‘suspendre’ notre contexte situationnel et de nous ravir ailleurs, absorbés par exemple dans la lecture d’un roman passionnant ? Bifurcation ? En jouant sur deux des sens du mot ‘sens’, on pourrait peut-être en effet parler de bifurcation du sens : celui qui nous oriente dans l’espace, droite, gauche, devant, derrière, haut, bas, celui qui, sens du discours, nous donne une autre possibilité à notre être-là, celle d’être ailleurs, dans un autre là. <em>Bifurcation : à la fois ci-présent et ailleurs</em>.<br /> 13. Cette bifurcation se ferait entre notre contexte situationnel, notre ‘ici et maintenant’, et le contexte rapporté par la pa­role ou écrit. Celui-ci a la puissance de nous enlever de celui-là, de nous absorber, de nous bifurquer<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. On peut présumer qu’il faut d’ordinaire un point de départ dans le contexte situa­tionnel pour qu’il y ait ce report de la bifurcation, quelque chose, événement minime, qui fasse interruption, qui fasse ‘asso­ciation’ entre un élément du contexte et l’enjeu de la parole, dite ou silencieuse : une rencontre avec quelqu’un d’autre, telle chose qui fasse signe à la mémoire, ou tout simplement une association d’idées. Celle-ci est si courante qu’il nous faut admettre que<em> notre état normal soit d’être toujours déjà en bifurca­tion de sens</em>, disons ainsi, entre celui de la situation du contexte et celui du discours<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>, de ladite conscience. Prévention d’un ‘accident’, le mot ‘fais attention !’ rappelle avec insistance que c’est au contexte qu’il faut devenir attentif, lorsqu’on est ‘ail­leurs’, dans les nues.<br /> 14. Ce que nous appelons philosophie en Occident a démar­ré plus fortement à partir de la littérature dite présocratique par une bifurcation tout à fait exceptionnelle, liée à l’invention de la <em>définition</em> par l’école socratique. Dans <em>Ménon</em> (71c), par exemple, la question de la défi­nition - « que dis-tu que c'est la vertu? » - est po­sée ainsi : « quelques nombreu­ses et diver­ses qu'elles soient, elles ont toutes une certaine forme (qui est) la même (<em>hen ge ti eidos tauton</em>), qui fait qu'elles sont des vertus. C'est sur elle qu'il convient de fixer les yeux pour répondre à la question et montrer en quoi consiste la vertu ». Si l’on admet qu’il y ait une ‘vision’ du comportement vertueux, sa définition consiste à trouver cet <em>eidos tauton</em>, cette 'forme qui est la même' dans tous ces com­portements vertueux ; pour cela il faut les dépouiller de ce qu’Aristote appellera leurs accidents, de ce qu’il y a de particulier dans cha­cun de ces comportements vertueux, et en dégager la « forme (qui est) la même ». Ce qui implique que la définition soit d’elle-même (as­sise sur la) bifurcation : d’une part, on est dans une discus­sion philosophique à deux, tout au moins, donc dans le regis­tre de la parole, d’autre part « il convient de fixer les yeux » sur ces comportements, là où ils sont, dans leurs situations ou contextes. La définition dégage - de ces contextes « sous les yeux » - un <em>eidos</em>, qui est <em>le même</em> dans tous les contextes considérés, mais qui ne peut l’être que parce que dégagé de leurs particu­larités : c’est-à-dire que l’<em>eidos</em> n’est le même que dans la pa­role philosophique<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>. Chacun de ces comportements vertueux peut être raconté dans un récit ou dit dans un discours, les deux tenant au contexte particulier. Par contre, le texte gnoséologique, ce nouveau texte des définitions - des <em>eidê</em> (formes idéales) chez Platon, des <em>ousiai </em>chez Aristote -, rompt avec ces dis­cours du particulier, qu’il qualifie de <em>doxa</em> (opinion, qu’elle soit vraie ou pas). Cette coupure, relevant de la violence de la définition elle-même (la violence pédagogique que nous appelons <em>abs­traction</em>, arrachement), a été instituée : l’Académie, le Lycée, l’école <em>en retrait</em> des opinions de la cité. C’est dire qu’elle implique l’altération de celui qui tient la parole de définition : il « fixe les yeux » sur les choses de la cité et de la nature tout autrement que ceux qui y vivent (voir la description de la pensée du philosophe en tant qu’arrachée au contexte dans <em>Théétète</em> 174-175). C’est cet arrachement - cette <em>abs-traction</em> violente<a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a> surplombant la bifurcation - qui a été repris par Platon comme <em>séparation</em> entre les Formes idéales célestes, issues des définitions, et les cho­ses définies dans leur contexte terrestre. Les unes, ont été contemplées par l’âme lorsqu’elle était séparée de son corps, avant la naissance, les autres, connues par le biais du corps et de ses organes, sont engendrées et se corrompent comme lui ; cette altération du philo­sophe a été théorisée dans l’immortalité de son âme vertueuse (<em>Phédon</em>). Aristote, par contre, a atténué autant qu’il le pouvait la séparation (son ousia est autant eidos que chose, essence que substance). Mais, grand utilisateur des défini­tions, il a renforcé la coupure institutionnelle entre le Lycée et la cité, entre son texte gnoséologique<a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a> et les récits et discours de la <em>doxa</em> ; tout en quittant l’immortalité de l’âme, il n’a pas moins gardé l’altération de son regard de philosophe, de plus en plus arraché à la <em>doxa</em> quotidienne, mis hors du jeu.<br /> 15. On peut estimer que la <em>réduction</em> d’Husserl a consisté pour l’essentiel dans la reprise du geste de la définition de l’école socratique<a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>, dans une sorte d’essai de refondation de la phi­losophie par rapport à la tradition scolaire de son époque en tant que doxa<a title="" style="mso-footnote-id: ftn7" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a> académique, disons. En effet, cet essai a eu lieu après la longue histoire de l’institution qu’est l’école, l’histoire des universités médiévales et européennes, surtout après les siè­cles entre le XVIIe et le XIXe et la prolifération inouïe des sciences de tout acabit. Son insistance sur l’intentionnalité essayait de retrouver la bifurcation initiale, si l’on peut dire, en suivant de la perception à l’intuition d’essence : mais en ‘oubliant’ le discours, en privilégiant dans la perception ce qu’il disait ante–prédicatif, il a tâché de revenir à la ‘chose’ pour y suspendre ou réduire son empirisme contextuel, ce qui la lie au monde des autres choses usuelles, pour en tirer, abs-traire, l’<em>eidos</em> ou essence. Réduire la chose apparaissante pour ne retenir que son apparaître phénoménal, structural. Tout en saluant le retour aux choses, c’est cet ‘oubli’ que Heidegger critiquait en <em>Être et Temps</em>, en posant l’humain comme <em>Dasein</em>, être-le-là, extériorité dans le monde<a title="" style="mso-footnote-id: ftn8" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>, c’est cet oubli qu’il visait dans son geste de réclamer l’être au monde avant le discours apophantique (celui de la définition) : ce qui soulignerait comment la réduction répétait la définition déjà et ratait les choses elles-mêmes, prises d’emblée comme des ‘objets’, hors contexte. Le commencement d’Husserl se situait déjà <em>après</em> la coupure (gnoséo­logique, pour les besoins de la connaissance) d’avec le monde quotidien, où tous, les humains, nous nous mouvons. Certes, c’était ce monde, dans sa particularité empirique, qui était réduit mais Heidegger donnait à voir ce qu’Husserl ne semble pas avoir compris: que cette réduction, cherchant à retrouver l’<em>eidos</em>, l’essence des choses auxquelles il invitait à retourner, avait des incidences tout autant sur lui, que la conscience qui réduisait était déjà celle d’un ‘philosophe’, de quelqu’un d’arraché au quotidien, qui était déjà à l’école. En retournant au monde, Heidegger n’est pas toutefois retourné aux discours particuliers de la littérature, dont il s’est pour­tant fort rapproché ; il a sciemment gardé l’allure philosophique de l’école, tout en déplaçant l’empirique du monde à réduire vers l’histoire occidentale de l’être, tâchant d’y réduire le substantialisme de l’aristotélisme médiéval et européen : c’est à détruire, disait-il.<br />16. L’être chez lui deviendra la différence ontologique d’avec les choses, il retourne au <em>même </em>que Parménide avait formulé comme le-dire-(qui)-pense-l’être. L’être est l’être des choses, du monde, de l’univers, qui n’est donné ni aux yeux ni au toucher : il est dit et pensé par le penseur, <em>le même que son dit, que sa pensée</em><a title="" style="mso-footnote-id: ftn9" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>. <em>L’histoire de l’être est ainsi l’histoire des motifs qui, des Grecs aux Européens, l’ont pensé</em><a title="" style="mso-footnote-id: ftn10" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>. Il cherchera longtemps à penser cet être qui donne les choses, les étants, avant de parvenir, en 1962, à formuler le motif de l’Ereignis (événement, en allemand) qui leur donne - aux choses qui ‘arrivent’ - et l’être et le temps, tout en effaçant, <em>en retirant sa donation</em>. C’est maintenant d’Héraclite qu’il dépend : « la nature (l’être) aime se cacher ». <em>Cette donation <strong>fait être</strong> la chose, son retrait la <strong>laisse être</strong> elle-même, en son être et temps ‘propres’</em>.<br />17. Derrida continuera sur sa lancée. Il se retrouve de­vant la tâche de penser l’être au monde heideggérien et la précompréhension (les préjugés ou présupposés) que <em>Être et Temps</em> lui avait octroyée : d’où vient-elle (viennent-ils) au <em>Dasein</em> ? Pour le savoir, il reprendra la réduction d’Husserl, en la déplaçant toutefois, lui aussi. Non plus dans la direction de l’être mais de la parole, dont il contestera qu’elle soit postérieure à ladite perception<a title="" style="mso-footnote-id: ftn11" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>. La réduction chez lui, en traversant une célèbre différence saussurienne entre les sons et les signifiants (seuls ceux-ci appartiennent à la langue), permettra de rendre compte de l’apprentissage de la parole<a title="" style="mso-footnote-id: ftn12" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>, de l’apparaître d’une voix inédite d’enfant : celle-ci n’est possible que par une ‘sus­pension’ des sons empiriques des voix des autres qui ne retient que leurs différences signifiantes (1967a)<a title="" style="mso-footnote-id: ftn13" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>. Appelons cette nouvelle ré­duction <em>grammatologique</em><a title="" style="mso-footnote-id: ftn14" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>. Il faut la complexifier toutefois, de façon à tenir compte de la double articulation du langage (§ 27), ce qu’il fera, implicitement, dans un autre texte de la même épo­que (1967c). Les signifiants écoutés, les mots et les règles des phrases, sont appris et dits par la nouvelle voix comme langue culturelle de la com­munauté dans les rapports aux autres, d’une part, mais en rapport aussi aux usages d’habitation que l’enfant apprend avec le langage. Or, c’est cette langue - qui parle dans sa voix et dont l’enfant est auto affecté, con-scient de soi – qui (précompréhension heideggérienne) le hausse au niveau, disons, du paradigme de ces usa­ges d’habitation (recettes, règles, lois, jeux, rêveries, etc.) : on peut dire qu’il rejoint ainsi la réduction phénoménologi­que d’Husserl<a title="" style="mso-footnote-id: ftn15" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>, mais à la façon d’un nouveau tour ou pli de la réduction grammatolo­gique. Cette double réduction – en <em>double-bind</em>, pour le dire dans sa terminologie postérieure - sera répétée à chaque nouvel apprentissage et de la voix et du phénomène. Si j’ai commencé par proposer une ‘bifurcation du sens’, on voit, maintenant qu’on y revient, qu’elle se donne comme toujours déjà doublement articulée, sans que l’on puisse séparer l’un des ‘sens’ de l’autre, ce que l’on voit ou touche de ce que l’on en pense ou comprend (avec les mêmes mots que les autres).<br />18. Mais ce mot ‘réduction’, tout en permettant de comprendre autant que possible ce si énigmatique apprentis­sage à partir des autres, peut devenir source de confusion, peut ignorer l’aspect ‘constructif’ du savoir-faire du nouvel humain habitant dans sa tribu. La réduction de l’empiricité des autres, de leur voix et du savoir-faire de maîtres qui s’effacent, est en effet corrélative de la construction ou croissance, du remplissage<a title="" style="mso-footnote-id: ftn16" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a> ‘substantiel’, ‘empirique’, de la voix et savoir-faire de celui qui apprend les usages de chez lui. Ce que chacun de nous sait est la trace de ceux par qui nous l’avons appris<br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> C’est où, me semble-t-il, résiderait la ‘vérité’ de ce qu’on appelle dualisme, voire de ce qu’on appelle idéalisme, dont l’erreur consiste en divi­ser ou séparer la bifurcation entre ‘corps’ et ‘âme’, extensio et cogito, finalement objet et sujet. En Husserl : région nature et région conscience.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Je me restreins ici au discours, mais ce ‘là’ ailleurs peut-être aussi bien de la musique, ou jeu d’images, ou calcul mathématique.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> On peut dire que le nom des choses en est l’amorce, car le fait que nombreux chiens de si différentes races soient nommés, dans les discours, par le même nom ‘chien’ implique la suspension des particularités de chacun d’eux, pour n’en retenir qu’un eidos.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Elle n’en est pas complète, tant que l’on garde à l’école les mots de la cité. Elle le deviendra avec la traduction en latin par des mots étrangers au quotidien.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> Sans les temps ni les modes des verbes, que des copules. À base de définitions d’essences intemporelles et de l’ar­gu­mentation conséquente, il ne dialogue plus et devient de plus en plus incompréhensible pour les non-initiés.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> Pour être plus précis, la réduction serait une classe d’opérations de pensée dont la dénomination, la définition, l’epoché et les diverses réductions scientifiques dont il sera question plus loin (§ 87) seraient des espèces.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn7" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> Sa thèse de la position naturelle du monde, à suspendre par l’épochê, correspondrait à la doxa des Grecs. La pensée s’est ‘naturalisée’ à l’école, il faut refaire une nouvelle ‘séparation’ au dedans de la vieille séparation, un nouveau paradigme, une nouvelle manière de ‘faire’ la séparation–définition : « avec une attitude toute différente », disait-il au début des Ideen.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn8" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a> En critiquant Husserl, le vieux Heidegger a dit que la conscience est close, on ne s’en sort pas ; il a ajouté paradoxalement que son Dasein était ‘proche’ des monades leibniziennes, car il n’avait pas non plus de fenêtres.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn9" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> Chez les Européens, la coupure cartésienne séparera la pensée (le sujet) et l’être (objet), fera du dire un instrument subordonné.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn10" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a> Cette historicité des motifs philosophiques, que l’on trouve chez Nietzsche et est reprise par la grammatologie de Derrida, est l’un des points décisifs du tournant heideggérien. Il faut en tenir compte pour bien évaluer le paradigme kuhnien, quoi qu’il en soit de son explicitation par Kuhn lui-même (par exemple, c’est la condition de son propos, qui a choqué beaucoup, sur le regard et sa dépendance de ce qui le dirige, mémoire ou paradigme, de ce que l’on a appris). * attention<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn11" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a> Il dira même que ce qu’on appelle la perception n’existe pas.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn12" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a> C’est-à-dire que la conscience ne peut pas ‘toute seule’ faire et garantir la réduction. Que Derrida trouve des différences–répétitions et leur espacement–temporalisation comme ‘résultat’ de la réduction implique que, au lieu d’un Wesenverhalte (état d’essences) husserlien, ce ‘résultat’ soit d’emblée structurel et temporel.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn13" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a> Ces différences, venues des autres s’inscrire chez l’enfant, sont spatialisées et temporalisées : c’est ce que Derrida dit différance. Le verbe ‘différer’ dit les différences spatiales et l’ajournement temporel. L’a ajouté à différence y introduit ce sens temporel du verbe que le substantif ignore.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn14" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a> De ‘gramma’, écriture en grec, inscription. Ce sont ces différences signifiantes qui s’inscrivent dans les ouïes-cerveau-gorge de l’enfant.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn15" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a> Puisque l’apprentissage et des mots et des gestes des usages et de leurs rapports mutuels se fait par réduction phénoménologique, les mots supposant toutefois aussi la réduction grammatologique. C’est cet apprentissage qui amène le fils de la femme et de l’homme au ‘monde’, en fait un ‘être au monde’ de sa tribu.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn16" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a> C’est peut-être l’antonyme de réduction, ce que Husserl chercherait à saisir par sa notion de ‘constitution’. C’est ce que j’appellerai plus loin ré(pro)duction. </div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-24932824714148094322008-02-18T06:37:00.000-08:002008-02-18T06:41:13.277-08:00Le jeu : règles et aléatoire<div align="justify"><strong>Le jeu : règles et aléatoire</strong><br /><br />19. « Le jeu des sciences », titre de l’essai qui se manifeste ici, accole ‘jeu’ et ‘sciences’ d’une façon qui pourra surprendre. La question que ce titre pose est celle du statut des règles que les scientifiques découvrent dans les phénomènes qu’ils étudient. Règles, lois, thèses, théories, tout le jargon scientifique va contre cette frivolité enfantine que le mot ‘jeu’ évoque tout de suite. Qu'est-ce qu'un jeu? De football, par exemple, que le vieux Heidegger aimait. D’une part, chaque match est un événe­ment, puisque l'aléatoire y est es­sentiel, mais il a des règles pré-établies, faites de façon à ren­dre possi­bles des mat­chs pas­sionnants entre deux équipes de niveau comparable, per­mettant des championnats, des joueurs professionnels, des en­traîneurs (donc un autre type de règles, celles des straté­gies), des jour­naux, et ainsi de suite. Tout ce monde tourne autour des matchs, de leurs règles conçues en vue de l'aléatoire des compé­titions. Par exem­ple, que l'un des joueurs ait droit à jouer avec ses mains dans l'aire du but empê­che qu'il y ait trop de buts (comme il y en a au basket-ball), de même que la règle du <em>off-side</em>, tandis que les <em>penalties</em>, par con­tre, évitent qu'il n'y en ait trop peu, etc. Ces règles ne se retrou­vent pas telles quelles dans d'au­tres sports au ballon, elles sont immanentes au jeu lui-même. Sans doute, le football suppose des lois physico-chimiques, bio­logiques, sociologiques, psychologiques, mais jus­tement de même que tous les autres sports; c’est-à-dire qu'au­cun d'eux n'est dé­terminé par ces lois: <em>le jeu est immotivé par rapport à toutes ces lois.</em> Ni le physi­cien ni le bio­logiste ni l'anthropo­logue ne peu­vent dé­duire les règles d'un jeu à partir des lois de leurs scien­ces<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, car il n'a d'autre raison que celle qui est im­manente au jeu lui-même. Que l’en­semble soit immotivé, il suffit de comparer avec d'autres jeux, soit sportifs à ballon (hand-ball) ou pas (athlétisme, ral­lyes), soit de cartes (bridge) ou les échecs, qui tous ont les mê­mes ca­ractéristiques: des espaces-temps conçus selon des rè­gles ren­dant possibles des matchs es­sentiellement aléatoi­res, pou­vant donc pas­sionner et les joueurs et les specta­teurs éventuels. Tou­tefois les sports sont tous diffé­rents en­tre eux, ils sont or­ganisés stable­ment dans leur durée. <em>L’unité indissociable des rè­gles et de l’aléa­toire, du hasard et de la né­cessité, voilà l’essence du jeu</em>, selon Derrida. Or, ce que le mot ‘football’ désigne n’est pas une chose, il n’est rien, ce n’est pas les matchs ni les joueurs qu’il ‘donne’ tout en dissimulant cette do­nation: le ‘football’ est un <em>Ereignis</em>, celui-ci relève du jeu.<br />20. Pas assez digne des sciences, cet exemple ? Prenons en un qui en relève très nettement, celui d’une voiture. Posons une question simpliste : est-ce qu’une voiture est déterministe, telle que l’on vient de voir que les jeux ne le sont pas ? D’une part, il le semble, puisque elle est réglée jusqu’à la minutie, théorique et expérimen­tale, se­lon les lois de plusieurs régions de la Physique (mécanique, aéro­dyna­mique, électricité, thermodynamique, etc.) et de la Chimie (carburants, huiles, caoutchouc, etc.). Mais d’autre part, le but de ces règles concerne la production d’un travail qui est essentiellement aléatoire. En effet, une voiture ne sert qu’à la condi­tion d’être commandée par les exi­gences du trafic, de la circulation sur les routes : rouler plus vite ou plus lente­ment, freiner ou reculer, tourner à droite ou à gau­che, etc., à cha­que instant pouvant se présenter une situation deman­dant l’alté­ration de la conduite suivie en ce moment. On retrouve donc, comme dans le jeu, les règles et l’aléa­toire, celui-ci étant autant celui du destin du conducteur que celui des autres voitures qui circulent dans les environs.<br /> 21. Or, cette <em>loi du trafic</em>, essentiellement aléatoire et concernant une multitude, commande la construction de la voiture en tous ses détails mécaniques, jusqu’à ceux qui ne visent que le confort. Sauf sur un point: l’explosion de l’essence qui donne le mouvement, le moteur dans ses cylindres, obéit à son tour à une <em>loi thermodynamique des gaz</em>, qui est totalement incompatible avec la loi du trafic: on ne saurait se balader sur la route en train de provoquer des explosions d’essence. La voiture auto­mobile - après la machine à vapeur de J. Watt - est la décou­verte fabuleuse de la façon de rendre indissociables deux lois inconciliables, celle de la thermodyna­mique avec celle du trafic: il faut que le <em>moteur</em> soit <em>retiré</em> (motif heideggérien, en oblique), fermé hermétiquement, blindé, forte­ment répétitif, puisqu’il ne fait que faire tourner un arbre, tandis que le reste de la voiture, disons son <em>appareil</em>, est pensé en vue des manœuvres de circulation et adéquation au trafic dont on a parlé. Voici ce qui illustre le motif derri­dien de la <em>différance</em> entre deux forces antagonistes, du ‘<em>double bind’</em> entre deux lois inconciliables : ce sera l’un des critères de description phénoménologique des domaines des diverses sciences.<br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Si c'était cela le rêve du physicalisme, autant en dire que c'est une bêti­se.</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-677495773271986992008-02-18T06:31:00.000-08:002008-02-18T06:37:31.219-08:00Les mammifères et les langues humaines<div align="justify"><strong>Les mammifères et les langues humaines</strong><br /><br /> 22. Venons-en à un autre critère que l’exemple de la machine ne peut pas illustrer, car il touche aux phénomènes de donation concernant les vivants, que l’on ne retrouve que dans quatre domaines scientifiques, à l’exclusion de la physique et de la chimie. Et il est si important que, à lui seul, il justifie que ces deux sciences n’aient pas ici la place prépondérante qui était la leur en philosophie des sciences. Il faudra en effet, en ce qui les concerne, ‘adapter’ à la phénoménalité de leurs inertes et aux champs respectifs les découvertes des autres cinq domaines de la nouvelle phénoménologie.<br /> 23. Tâchons d’articuler les découvertes biologiques de la génétique et de la neurologie. Soit une espèce de mammifères qui, donnée par la nature, se reproduit. Le couple d’une femelle et d’un mâle doit engendrer des doubles, mâles et femelles, qui d’une part soient <em>les mêmes</em> (de la même espèce) et qui d’autre part ne soient <em>pas identiques</em> (ce sont d’autres individus). Pour qu’ils se reproduisent, ces individus doivent habiter un territoire écologi­que propice à leur nourriture et à leur sécurité. Pour ces deux types de reproduction, de l’espèce et de l’individu, la nature joue de la même manière, nous a appris la biologie moléculaire: la <em>mêmeté </em>de l’espèce et de l’ensemble organisé des comportements des individus est assurée par le même programme génétique. Celui-ci toutefois - contre ce qu’il semble que beaucoup de généticiens pensent, à croire en leurs déclarations dans les journaux - <em>ne peut pas déterminer</em> ces comportements de forme stricte, puisque chaque individu devra agir en fonction de l’aléatoire des proies à pren­dre, des fuites pour ne pas devenir la proie d’autres, etc. : on retrouve l’aléatoire comme dans le cas du trafic automobile. Sauf qu’ici c’est plus compliqué : la <em>mê­meté</em> doit jouer essentiellement sur la possibilité de <em>l’alté­ration</em> due à l’autre que l’on mange et à l’environnement en général, mais sans perdre la mêmeté de l’espèce; pour cela, il faut que le pro­gramme génétique puisse, à la fois, régler le jeu chimique du métabolisme de sa cellule<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a> et empêcher ses molécules d’être altérées chimiquement: il faut qu’il reste <em>retiré</em> (en langage heideggérien) dans le noyau, ce qui est le ré­sultat de cet admirable mécanisme de la duplication d’un seg­ment de l’ADN en ARN messager, qui opère la synthèse chimi­que de la protéine requise et se dégrade ensuite (Monod et Jacob), l’ADN restant gardé comme le même en vue de la prochaine fois. Il doit en outre contenir en lui toutes les règles nécessaires aux synthèses de protéines dans chacun des 200 types de tissus cellulaires d’un mammifère, selon l’aléatoire aussi de la nourriture qui arrive à la cellule et les teneurs du sang, sur l’équi­libre duquel le jeu hormonal veille<br /> 24. Un trajet rapide par l’anatomie de notre mammifère montrerait aisément comment elle est orientée pour assurer le métabolisme de toutes et de chacune de ses cellules : la circulation du sang y apporte l’oxygène et les nutriments, tandis que les appareils digestif et respiratoire se chargent d’alimenter le sang; les muscles et les pattes, le cerveau et ses organes de perception, doivent agir sur le territoire pour trouver de quoi manger, boire, respirer. Comment y arrive-t-il ? Il doit être aiguillonné par le jeu hormonal qui, attentif à l’équilibre homéostatique du sang entre deux seuils<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>, doit l’as­surer, actionné par voie génétique. Si le sang manque de nutriments, le paleocortex secrète des hormones de la faim qui meuvent le système de la mobilité que le néocortex gouverne. Or, il ne pourra chasser ni fuir à un éventuel prédateur sans que quelque chose de ce territoire ne soit inscrit durablement dans les synapses de son cerveau, selon les <em>graphes</em> du neurologiste J.-P. Chan­geux. Ces graphes, de leur côté, sont eux aussi réglés pour que des actions aléatoires deviennent pos­sibles, des comportements réglés à par­tir des organes de per­cep­tion jusqu’aux muscles de la motilité, après avoir traversé le double cerveau, le paléo-cortex émotionnel hérité des poissons et reptiles et le néo-cortex des oiseaux et des mammifères, plus développé chez nous, les humains. Tout cela implique donc chez les mammifères un certain apprentissage et la mémoire respective. Ce qui a comme conséquence que rien de ce qui, dans un com­portement, implique une quelconque connaissance du territoire écologique et de ses situations aléatoires (de chasse et autres) ne peut être strictement déterminé génétiquement. Dans le cas des humains, les règles de ces comporte­ments sont les usages sociaux (qui devront être l’objet des sciences des sociétés), plus généraux ou plus spécialisés selon, qui sont inscrits en nos cerveaux de façon à ce que nous soyons plus ou moins habiles dans leur effectuation, <em>de façon à ce que nos comportements se fassent spontanément, à partir du de­dans, en tant que nôtres, malgré leur origine au-dehors, appris</em>. Soit un exemple bête de cette non-détermination génétique : si j’ai faim, il s’agit d’un effet génétique au vu du taux de nutriments de mon sang, mais si je dois manger un sandwich, frire des œufs ou aller au restaurant, c’est une décision qui n’a plus rien de génétique.<br /> 25. De même, le lion affamé ne se rassasie que s’il a la chance de trouver une proie et que celle-ci n’ait pas, à son tour, la chance de lui échapper. C’est pourquoi, dans l’évolution des vertébrés, l’olfaction (jouant chimi­quement, à la façon des hormones) a dû céder le pas stratégique à la vision, au­dition et tact et aux apprentissages respectifs : c’est dire que le jeu chimique de type hormonal, moteur des comportements (la faim, par exemple), est lui aussi de plus en plus <em>retiré </em>du territoire, au fur et à mesure du développe­ment du néo-cortex. Retirés donc du territoire, les gènes et les hormones sont <em>aveugles</em> par rapport à lui (comme le cylindre de l’automobile par rapport au trafic), ne peuvent donc déterminer aucun des comportements, quoique ce soit le jeu génétique sur les hormones qui en reste le ‘moteur’.<br /> 26. On arrive ainsi aux deux lois indissociables et inconciliables des espèces animales. L’une est l’autonomie de chaque individu, réglée à par­tir des retraits de ses gènes et de son jeu hormonal, qui ne cherche que sa propre reproduction<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>, sa vie, l’ajournement de sa mort, étant pour cela obligé de manger d’autres vivants, végétaux ou animaux; l’autre loi, c’est la loi de l’ensemble de tous les autres animaux qui cherchent le même, puisque aucun ne survit sans le sacrifice d’autres vivants: c’est la loi de la vie, <em>la loi de la jungle</em>. Ce qui est fort étonnant, c’est que cette loi - inconciliable avec celle de l’autoreproduction de tout un chacun qui en fait partie (toutefois, elles sont indissociables) - soit efficace, que son efficacité soit le secret ultime de l’évo­lution, de ce que Darwin a appelé sélection naturelle<a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>. En effet, de même que la loi du trafic commande l’ingénierie d’une voiture, de même l’anatomie de chaque espèce est com­mandée par la loi de la jungle, anatomie très précisément adéquate à la meil­leure façon de chasser et de ne pas être chassé: autant de mil­lions d’espèces, quelle panoplie immense d’astuces si différentes, éventail inépuisable des arts de capturer et de s’en défendre, poisons, griffes, mandibules et fortes dents, trompe et cornes, fards et toiles d’araignée, refuge dans des terriers ou en grimpant aux ar­bres, jusqu’aux ailes pour s’envoler. <em>Le jeu de l’altération</em>, autant dans la sexualité que dans la nourriture, est ainsi structurel à la reproduction du même, c’est ce qui n’existe pas dans la machine : ce que je mange, c’est l’autre vivant (animal ou végétal) qui devient moi-même; ceci étant vrai dès la première cellule, chaque animal est ‘fait’, substantiellement si l’on veut, dans chacune de ses cellules et molécules, d’autres vivants d’autres espèces. Étonnante loi de l’alimentationnalité.<br />27. C’est pareil en ce qui concerne mes usa­ges, que j’apprends d’autrui et qui deviennent mes usages à moi, de façon telle que sans eux je ne suis personne, même pas ‘moi’ : le processus de l’apprentissage, par exemple de la façon de conduire une voiture, ‘fabrique’ son usager, lui accordant la spontanéité d’un talent singulier. Le langage en est un autre. De ce mé­canisme rappelons com­ment la linguistique d’inspiration saus­surienne a mis en lumière la double articulation des langues humaines (A. Martinet) : les mots sont d’une part constitués de phonèmes (ou lettres), d’autre part ils s’articulent en phrases. Eh bien, qu’est-ce qui y est retiré? Les cris élémentaires des hominidés nos ancêtres, changés en phonèmes, c’est à dire en sons sans signification, qui ne sont l’image de rien, ne voulant rien dire (à l’instar des lettres), <em>retirés</em> donc du champ de la communication et de l’échange directs : à partir d’eux, les lan­gues forment des milliers de mots avec lesquels on peut communiquer, en les enchaînant en phrases très ré­glées, selon des règles syntactico-sémantiques (M. Gross) auxquelles personne n’échappe, qui s’exercent en nous spontanément sans que l’on sache comment, selon des règles qui sont les mêmes chez tous les par­leurs d’une même langue (c’est cet automatisme que l’on perd quand il y a ablation de l’aire corticale de Broca). Ces phrases, enchaînées à leur tour en discours, permettent aussi que le sens des mots les plus fré­quents connaisse une variabilité polysémique relative et réglée et augmente ainsi l’éventail des possibilités de dire. Cette double articulation, Martinet l’a montré il y a plus de 50 ans, est corrélative, d’une part de l’économie physiologique de notre phonation, qui n’arrive à articuler de fa­çon distinctive que quelques dizaines de sons simples (à l’instar des touches de nos claviers), d’autre part de notre capacité de mémoire cérébrale verbale, puisqu’on dit que nous n’utilisons que 3 à 5 mille mots, tout en arrivant à en reconnaître quelque 30 mille. Comment donc marche ce lan­gage ainsi adéquat à notre anatomie? De façon telle que, d’une part, les mots et les autres règles de la langue sont communs à tous, ils nous viennent des autres, et l’on peut ainsi s’entendre, d’au­tre part que ces phrases intégralement réglées sortent chez nous très spontanément (sans qu’on y songe, sans qu’on puisse songer à toutes les règles qui s’y jouent), rarement on bégaie pour cher­cher un mot précis, et de façon tout à fait adéquate à la situation aléatoire de conversation ou autre dans laquelle on parle. En ef­fet, une conversation - où chacun prend le fil de ce qu’il vient d’écouter pour lui ajouter quelque chose d’autre, en accord ou en contradiction - n’a de sens que parce chacun des interlocuteurs est plus ou moins surpris par ce que l’autre dit, ne sait pas d’avance ce qu’il va répondre, doit donc être capable d’improvi­ser selon le fil aléatoire de la conversation, mais en suivant les règles de la langue, communes à tous. Tout comme une voitu­re dans le trafic de la route. Il faut s’arrêter un peu et songer à cette chose extraordinaire : <em>nous pensons spontanément avec les mots des autres, les mots de tout le monde</em>. C’est l’une des plus grandes questions de la pensée occidentale, jamais bien posée, qui a connu, depuis Platon - sa réminiscence (<em>Ménon</em>) et sa maïeutique (<em>Théétète</em>) -, les réponses les plus diverses<a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. Et pour cause. Il y a ici aussi deux lois inconciliables qui se jouent indissociablement: celle du sens commun, que tous partagent, d’une part, dans le commerce ou trafic de ladite communication, celle de la pulsion à parler singulièrement de tout un chacun, à nous faire remarquer par un dit inédit, qui mènerait à la folie s’il n’y avait pas la contrainte, dès l’enfance, à se conformer à la perti­nence de ce sens commun, à dissimuler ce qui lui monte spontanément à la tête (Flahault, § 63) et qui, si elle était en contradiction avec la loi de tous, pourrait lui valoir la réputation d’être stupide, voire fou, et d’être donc marginalisé sociale­ment. Dans nos rêves, par contre, la folie triomphe souvent.<br /> 28. Ces mécanismes d’autonomie ne fonctionneraient pas de façon autonome, justement, s’il n’y avait pas un autre type de re­trait que celui du ‘moteur’: <em>le retrait de ceux qui donnent</em> le mé­canisme lui-même, ses règles égales à celles de tous les individus, de l’espèce ou de la langue. La mère d’un mammi­fère humain qui le porte dans son ventre (le père s’étant retiré tout de suite après la copule) se retire de façon progressive: grossesse et ac­couchement, retrait mais avec alimentation au sein, sevra­ge, un autre retrait, apprentis­sages des gestes de voir et manipuler, de la marche, de la parole, et ainsi de suite, jusqu’à ce que, adul­te, il quitte la maison parentale. Ce retrait des parents se manifeste de façon éclatante à leur mort, les enfants y restent autonomes sans eux : autant pour l’ADN réglant leur nourriture et croissance que pour l’u­sage de la parole. Les poètes eux-mêmes ne disposent pour faire un poème que des mots des autres (Ma­nuel Gusmão) : le langage est ce méca­nisme fa­buleux venu tota­lement du dehors, d’une très ancestrale tradi­tion, qui - énigme des énigmes - rend possible le talent sin­gulier d’un Borges, d’un Char, d’un Dostoiewski ; les traces des autres, de ceux dont nous avons appris tel ou tel mot, tel ou tel savoir, <em>il faut qu’ils soient absolument effacés</em> pour que ces traces parlent en nous notre parole autonome. Si l’on écoutait les autres dans ces traces (à la manière dont en rêve ils s’y mon­trent parfois), si on écoutait nos maîtres nous dicter à l’oreille ce qu’il fallait dire en telle ou telle situation, on serait des hallucinés, des fous.<br /> 29. Puisque la loi est hétéronome, donnée par d’autres, cette donation doit s’effacer absolument. On dira que ce sont des <em>mécanismes d’autono­mie à hétéronomie effacée</em>. C’est vrai autant de la nourriture qui nous est donnée tous les jours pour de­venir notre substan­ce vitale, que de tout ce que l’on apprend au long de notre vie: tout en sachant peut-être où l’on a appris ceci ou cela, quand nous utilisons notre savoir en parlant ou en écrivant, le souvenir de cette donation est ab­solument effacé. Et c’est cet effacement absolu qui explique sans doute qu’il soit passé, sem­ble-t-il encore de nos jours, inaperçu des savants des divers dis­ciplines qui s’en occupent. Heidegger lui-même, dont la pensée sur l’Être et l’<em>Ereignis</em> permet d’éclairer cela d’une fa­çon fort étonnante, ne semble pas s’être avisé de toute la portée de son travail au niveau des vivants aussi.<br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Variable selon les tissus spécialisés et l’aléatoire de ce que l’on a mangé, des teneurs atmosphériques, les besoins de la cellule en molécules usées, etc.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Tension, température, pH, teneur en oxygène et autres molécules essentielles, etc.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Et celle de l’espèce aux époques du rut.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Celle-ci n’est pas un ‘mécanisme’, comme on dit souvent, mais une ‘loi’ de l’évolution.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> C’est une longue histoire. En ce qui nous concerne, les classiques européens du 17e siècle, à la suite d’Occam, se sont occupés de ‘pensée’, en laissant le langage au rang instrumental de son ‘expression’, de l’intérieur vers l’extérieur. C’est le logocentrisme typique que Derrida a déconstruit.</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-54959900485397772882008-02-18T06:29:00.000-08:002008-02-18T06:31:26.878-08:00Un exemple d’obstacle épistémologique<div align="justify"><strong>Un exemple d’obstacle épistémologique<br /></strong><br /> 30. J’aimerais bien savoir si la lecture des paragraphes précédents a apporté quelque nouvelle compréhension au lecteur informé en ce qui concerne la biologie ou la linguistique. La façon dont ils exposent une esquisse phénoménologique, je ne l’ai trouvée dans aucun des livres de spécialistes qui m’ont enseigné ce que je peux savoir les concernant<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. Si mon propos se révèle éclairant au niveau de la divulgation, il doit y avoir quelque part un obstacle du côté des scientifiques, il ne peut qu’être d’ordre épistémologique ou philosophique, que relever du niveau où cet essai se situe. En effet, si cette proposition de philosophie avec sciences a quelque justesse, on y reviendra, les sciences, filles rebelles de la philosophie, doivent avoir gardé en elles - à leur insu, en retrait - quelque chose de leur mère. L’ayant contacté par courriel après son passage au Portugal, la réplique d’Edgar Morin à mon projet m’a beaucoup éclairé : « il y a disjonction complète entre philosophie et sciences ». Il est à croire que ce soit une vision des choses, plutôt positiviste, très partagée par les scientifiques. Il me faut donc insister : je n’ai aucunement la prétention d’enseigner à personne quoi que ce soit de scientifique, tout ce que j’en raconte je l’ai appris chez eux. J’aurai par contre la prétention d’enseigner, aux scientifiques y compris, quelque philosophie qui pourrait leur être utile.<br /> 31. Reprenons donc l’exemple de la biologie. La grande découverte de la biologie moléculaire, quand on la compare avec les autres domaines scientifiques retenus ici, c’est le retrait strict de l’ADN dans le noyau de la cellule. Pourquoi ce retrait ? La réponse est obvie : il faut qu’il soit le même dans toutes les cellules (quitte à ce que beaucoup de gènes soient inhibés, selon les spécialisations des tissus respectifs), qu’il ne soit pas altéré, l’épargner donc du métabolisme chimique. Au niveau de celui-ci, seul l’ARN messager est utilisé et se dégrade ensuite. C’est de cette dégradation que l’ADN est retiré. Ceci implique deux conséquences : d’une part, que le véritable ‘moteur’ des synthèses des protéines soit ce que le remarquable biologiste italien Marcello Barbieri appelle le ribotype, les diverses molécules ribonucléiques du cytoplasme, qui doivent recourir à l’ADN à un moment donné, sans que ce soit celui-ci à en prendre l’initiative (il faut les mécanismes de ce qu’on appelle « régulation de l’expression génétique »). Il ne faut donc pas faire de l’ADN le déterminant de toutes sortes de choses qui arrivent dans le fonctionnement de l’organisme (dans le phénotype, en jargon ancien que Barbieri reprend). C’est là, me semble-t-il, que les biologistes sont pris au piège d’une causalité mécanique d’origine philosophique (et physique). La deuxième conséquence : le rôle de l’ADN et de l’ensemble du ribotype se limite au métabolisme<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>, à ce qui se passe à l’intérieur de la membrane cellulaire (et ses environs aqueux) ; au-dessus, ce sont les organes de l’organisme (selon deux grands systèmes : nourriture et motilité, le cerveau réglant et articulant les deux en un double système<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>) qui se chargent des diverses fonctions de celui-ci, qui reviennent en fin de compte à la nourriture des cellules. C’est-à-dire que la logique des animaux revient à ceci : au début de la vie, les cellules toutes seules ou en colonies se révélaient très fragiles face à un environnement à fortes variations, l’évolution a consisté en leur jonction selon des spécialisations afin que, organisées, elles puissent mieux se nourrir, laisser la mer vers la terre et les airs, etc.<a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a> Où sera donc l’obstacle épistémologique ? Il me semble que c’est une sorte de vision ‘anthropomorphique’ des animaux qui les opposent, comme des ‘sujets’, au monde extérieur, des sujets qui ont en eux leur dynamique, que le regretté F. Varela dira auto poétique ; à l’inverse des machines, ils se feraient eux-mêmes. Comme si la nourriture était une fonction du sujet qui se nourrit (à l’instar de notre façon ‘civilisée’ de nous mettre à table). Il semble que l’on rate ainsi la loi de la jungle (§ 26) qui dépend de ce que l’on peut appeler le principe de conservation des molécules de carbone. Celles-ci n’étant pas infinies, chaque organisme doit aller les chercher où elles sont : les plantes à l’atmosphère, les herbivores aux plantes, les carnivores aux autres animaux. Pas d’auto fabrication donc, mais une scène de la vie qui fabrique ses vivants selon une loi générale de laquelle chacun dépend essentiellement et à laquelle il doit échapper de son mieux<a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. La biologie moléculaire, Barbieri le signale, a imité les philosophes des idées qui ont placé le langage en position secondaire, instrumentale<a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a> : ce furent les ribonucléiques qui ont été instrumentalisés.<br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Avec des différences sans doute : ma formation de base est d’ingénieur civil et ensuite j’ai obtenu une licence en théologie à Paris ; en ce qui concerne les autres sciences, j’ai soutenu une thèse de doctorat sur l’épistémologie de la sémantique saussurienne, tandis que je ne connais la biologie, l’anthropologie et la psychanalyse que par des lectures de curieux. Remarquable, aucun des livres de divulgation biologique que j’ai lus ne fait de référence significative à l’anatomie, comme si celle-ci ne comptait pas pour la biologie moléculaire ; mon évocation des §§ 23-24 n’aurait été possible sans la Biologie des passions de J.-D. Vincent.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Sauf en des cas spéciaux, les cellules des glandes qui produisent des hormones, par exemple.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Voici une loi qui se répètera dans d’autres domaines : il ne s’agit pas de deux systèmes articulés, mais toujours d’une double articulation. C’est où Prigogine devient important : une scène donnée, quand elle est pléthorique, dédouble une autre scène qui résout, selon d’autres lois, le chaos qui l’a rendue nécessaire.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Ledit ‘milieu intérieur’ (Claude Bernard), sang et limphe, de même que la sève des plantes et le liquide amniotique de l’œuf et du fœtus, relèvent de la nécessité structurelle de la ‘mer’ comme environnement des cellules.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> De même, pour les voitures : la loi du trafic (de la scène) est d’abord, on ne fait pas de routes ni des usines ni des pompes à essence, etc., pour ‘une’ voiture, mais pour des milliers. Mais chacun de nous ‘pense’ à sa voiture, conduit sa voiture vers son but en échappant aux autres.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> C’est parce que la grande découverte de Saussure, « dans la langue il n’y a que des différences », a permis aux linguistes de se libérer en partie de cet obstacle, que cette science a connu dans le structuralisme le rôle de phare des autres sciences sociales. </div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-13922213556664348462008-02-18T06:25:00.000-08:002008-02-18T06:29:51.374-08:00Les découvertes scientifiques majeures du XXe siècle<div align="justify"><strong>Les découvertes scientifiques majeures du XXe siècle</strong><br /><br /> 32. Il est maintenant plus aisé de dire quelles sont, du point de vue phénoménologique proposé ici, les principales découvertes scientifiques du 20e siècle, celles qui ont révolutionné les domaines respectifs. Ces domaines sont des champs de ‘phénomènes’ (ce mot grec qui dit ce qui se manifeste, <em>apparaît</em>). Champs et phénomènes étaient déjà plus ou moins bien délimités, on s’y affairait depuis longtemps. La nouveauté - indépendants les uns des autres, sauf en ce qui concerne Lévi-Strauss - a consisté dans la découverte de ce que l’on pourrait dire des <em>non-phénomènes</em> : retirés, retranchés de la phénoménalité et la rendant possible. D’abord, le noyau des atomes, dont les protons et les neutrons sont retirés par des fortes forces nucléaires du champ de la gravitation et de celui des transformations chimiques (dont physique et chimie respectivement s’occupent) : ces noyaux rendent possibles et les molécules et les graves. Deuxièmement, l’ADN retiré dans le noyau dont on vient de parler, rapporté au sang qui vient nourrir chaque cellule. Troisièmement, on en a déjà parlé aussi, les phonèmes (ou lettres) du langage, rendant possibles les mots et les phrases inépuisables de nos conversations et textes, justement parce qu’il sont retirés du champ de la signification. On les contrastera bientôt avec ses parents proches, l’écriture mathématique, les musiques et les images. Quatrièmement, la psychanalyse, dont on doit renoncer ici à justifier la scientificité retorse, traverse, a d’emblée diagnostiqué le domaine retranché, le refoulement des pulsions sexuelles et agressives concernant la parenté proche, comme condition des ‘rapports psychologiques’, oscillant entre amour et rivalité, avec autrui. Cinquièmement, la découverte par Lévi-Strauss de la corrélation entre l’interdit de l’inceste - le retrait des rapports sexuels de consanguinité, universel à toutes les sociétés humaines - et la structuration exogamique de la société selon son système de parenté, dont il a déchiffré la logique non consciente ; elle est, me semble-t-il, non pas la première, loin de là<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, mais la pierre décisive de la scientificité dans le domaine des sociétés : elle éclaire de façon lumineuse le noyau social qui tisse toute société humaine, quelles que soient les complications postérieures, dues aux inventions techniques et aux écritures<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>.<br /> 33. Tel fut le schéma primitif de cette phénoménologie, compris vers le milieu des années 80, où le motif décisif était celui du <em>double bind</em> que Derrida avait emprunté à G. Bateson : un ‘double lien’ qui ne comprenait pas encore l’existence de deux lois indissociables et inconciliables, pas même celui de retrait. En effet, celui-ci n’est que l’une des trois formes de retrait que je suis arrivé à diagnostiquer plus tard, que j’ai appelé <em>retrait strict</em>, celui qui retranche quelque chose qui faisait partie de la scène précédente chaotique. Devenu plus complexe, on le verra plus loin, notamment avec la découverte de deux autres types de retrait corrélatifs du premier<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>, ce schéma s’est étendu, à l’épreuve de l’écriture, à des stades intermédiaires, soit de l’évolution biologique, soit de l’histoire des humains.<br /> 34. Pour ce qui est de l’obstacle épistémologique qui me semble empêcher les scientifiques de mieux nouer l’ensemble de leurs domaines et de les articuler aux autres voisins, on peut dire qu’il a le même profil en ce qui concerne les sciences des vivants, de leurs langues, sociétés et ‘psychismes’. Il s’agit de la séparation dualiste, même atténuée, de l’opposition entre sujet et objet, que chez les biologistes est transposée aussi aux animaux. Disons que vaut ici le pas de Heidegger en rupture d’avec Husserl, proposant en 1927 que les humains sont des ‘êtres au monde’, <em>qu’ils sont à l’extérieur d’eux-mêmes</em> ; mais il faut pousser plus loin ce propos étonnant, il faut dire qu’ils se reçoivent de l’extérieur, que, à l’instar des autres mammifères, ils sont eux aussi structurés à partir de la scène et en mesure de pouvoir circuler dans la scène, en éviter les obstacles et survivre. C’est-à-dire que la différence entre moi et le monde qui m’est extérieur n’est pas originaire mais construite, d’une façon que la psychanalyse permet de cerner, dans la mesure où elle raconte comment le ‘moi’ est dégagé du dual imaginaire d’avec sa mère par le refoulement, en venant à s’opposer à l’autre dont il subit la loi, à apprendre et à soigner son ‘intériorité’<a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>. On reviendra dans les paragraphes suivants sur cet obstacle en sciences des sociétés, en linguistique et en neurologie.<br /> 35. En ce qui concerne la physique, la question est plus délicate, le risque est plus grand que l’apprenti de phénoménologie se trompe. Ce qui me gêne dans le discours physicien, c’est l’expression de ‘monde quantique’ ou ‘monde des particules’, voire qu’on en parle comme s’il s’agissait de ce que nous appelons ‘la matière’<a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. Or, il me semble qu’il s’agit toujours de choses fabriquées en laboratoires et autres grands accélérateurs, à existence très fugitive<a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>, donc incapables de la stabilité que nous attribuons aux mots ‘monde’ et ‘matière’. Ce que la théorie de l’atome et de la molécule et des graves inertes nous apprend, c’est qu’ils tiennent par <em>des forces attractives qui attirent</em> : soit des protons et neutrons, dans le cas des noyaux et des leurs forces nucléaires proprement dites ; soit des protons et des électrons dans le cas des atomes, d’une part, des molécules ensuite et des graves macroscopes, à charge ici des différentes forces électromagnétiques en tant qu’attractives ; soit enfin des graves dans les astres, dans notre système planétaire, à charge des forces gravitationnelles. Ce sont ces forces attractives, fort énigmatiques, qui donnent la stabilité à notre monde et à ce que nous appelons matière (solide, liquide, gaz, dans les cas traditionnels). Déjà Newton ne pouvait se figurer cette attraction, dans le cas à distance (« <em>hypothesim non fingo</em> », écrit-il, je ne feins pas d’hypothèse, je n’arrive pas à l’imaginer), il me semble que leur multiplication par trois n’a pas contribué à dissiper l’énigme qui reste entière. Et là, il se peut que l’obstacle épistémologique soit à repérer du côté de la <em>séparation</em><a title="" style="mso-footnote-id: ftn7" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a> <em>entre force et énergie</em> : celle-ci étant par essence dissipative, explosive, ne seraient-ce les forces attractives qui justement la retiennent (en des retraits : ceux-ci sont tous d’ordre entropique, façon Prigogine) de façon à ce que la stabilité du monde et de la matière soit ? Si le parcours des atomes aux particules est l’explosion nucléaire, comment concevoir le parcours inverse, des particules libres aux atomes ? Notamment, comment est-elle franchie, la barre des forces nucléaires ? L’explosion dite Big Bang, ne serait pas, elle déjà, une déliaison, des forces attractives qui ont sauté, à l’instar des explosions que nous connaissons ? Quoiqu’il en soit, ce motif des forces <em>attractives et constitutives</em> (des atomes, molécules, graves et astres) nous sera utile dans d’autres domaines.<br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> L’apport de Hegel et surtout de Marx, en leur temps, est resté confiné aux sociétés modernes industrielles.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Le livre Le Procès civilisationnel de Norbert Elias éclairerait le prolongement de ce noyau, dans les sociétés modernes, aux unités sociales où femmes et hommes non liés par l’interdit de l’inceste se côtoient plusieurs heures par jour.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Un retrait régulateur (de l’homéostasie du sang, par exemple, selon les aléas de la scène de la jungle) et un retrait donateur (des géniteurs, des maîtres).<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Nous avons tous cette expérience, que celle-ci ne nous est pas offerte sur un plateau, qu’elle demande un long travail intellectuel et spirituel.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> Heureusement que l’on parle aussi d’ ‘anti-matière’, ce qui semble souligner que, s’agissant du même ‘monde’, ce n’est pas notre ‘monde’, ni notre ‘matière’.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> Il n’y aura que les protons, électrons et photons pour durer stablement tout seuls, les neutrons même pas une heure.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn7" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> Sans qu’il soit sans doute ici question de la séparation entre sujet et objet, mais toute ‘séparation’ exclusive est suspecte à des yeux derridiens.</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-63381356421596345682008-02-18T06:23:00.000-08:002008-02-18T06:25:42.520-08:00Scène et laboratoire<div align="justify"><strong>Scène et laboratoire</strong><br /><br /> 36. Les exemples de la voiture, du mammifère et de la parole humaine ont illustré divers niveaux de scènes de circulation structurellement aléatoire. Les ‘choses’ qui y circulent, machines, animaux, discours, sont structurées – par fabrication, dans le premier cas, naissance et croissance dans le second, apprentissage dans le dernier – de façon à pouvoir y être autonomes. Et il va de soi que c’est cette autonomie même qui a depuis toujours posé problème à ceux qui se sont interrogés et ont demandé ‘pourquoi ?’. La difficulté de nos ancêtres en curiosité était la complexité des interactions dans les scènes, il y avait beaucoup de facteurs, le plus astucieux, Aristote, a démêlé les facteurs accidentels de ceux qui étaient spécifiques ou essentiels, a rendu possible et opératoire notre motif d’‘espèce’, a été aussi loin que possible par la seule ‘observation’. Ce que nous, modernes, appelons ‘science’ a surgi au 17e siècle avec l’invention du laboratoire à partir des arsenaux, chantiers et d’autres métiers mécaniques<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. Le laboratoire est, après la définition, une autre sorte de réduction, de retrait suspensif, d’opération de connaissance : puisque la scène et ses entités sont très compliquées, il faut en enlever une partie et créer à part, de façon délimitée très précisément, une expérimentation, un ‘mouvement’ disons, à mesurer au début et à la fin. On a vite compris que, dans ces conditions bien déterminées, on trouvait toujours des répétitions, permettant petit à petit de formuler des « lois de la nature ». Sans que je sache dire où et comment cela s’est passé, il se trouve que l’un des mots latins pour ‘définition’ ou ‘délimitation’, celui de ‘détermination’<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>, est venu à coïncider avec celui dont on avait hérité d’Aristote, à savoir celui de ‘cause’ comme ce qui, dans ladite nature, est la ‘raison’ du mouvement analysé au laboratoire. Il va de soi que les savants ne s’intéressaient au laboratoire qu’à cause de cette ‘nature’ mouvante qu’il s’agissait de comprendre. Et, de même que le langage qui permettait de penser a été congédié par l’<em>idée</em>, par la représentation mentale, à la fonction subalterne d’un instrument, <em>le laboratoire a aussi été oublié</em> : le sujet savant était tout de suite aux prises avec l’objet naturel, ce qui se passait au labo, c’était ce qui se passait dans la ‘nature’ ; les déterminations que le laboratoire opérait (en excluant d’autres facteurs) se passaient comme çà, sans plus, dans la scène<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>, le déterminisme de la ‘nature’ s’est imposé aux savants<a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>, car c’était bien leur raison d’être : découvrir des régularités, des lois scientifiques acceptables par tout le monde.<br /> 37. C’est peut-être grossier, beaucoup de savants se sentiront injustement jugés. Il va de soi qu’il ne s’agit pas ici de querelles entre spécialistes, entre savants et philosophes, je m’étonne seulement de ne pas trouver ces questions soulevées même dans les derniers dictionnaires de philosophie des sciences, en tout cas pas dans les œuvres de divulgation dues à des scientifiques. Ce que je prétends, l’ingénieur d’une voiture (ils sont légion de spécialistes divers) pourrait aisément l’illustrer : travaillant toujours sur des expérimentations fragmentaires, il ne peut les relier pour avoir une machine (travail théorique) qu’en ayant toujours les yeux tournés sur la scène du trafic et leurs injonctions (en ‘bifurcation’). Les relations de cause et effet sont l’essentiel du travail sur chaque fragment au laboratoire, mais la conception théorique de l’ensemble se rapporte aux lois de ladite nature : la composition des règles trouvées ne peut se faire qu’en fonction de l’aléatoire de la scène.<br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Newton a conçu sa ‘science’ comme de la philosophie jouant avec de la géométrie et de la mécanique.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Fines (définition), termo (détermination), limes (délimitation), sont des mots latins à peu près synonymes, pour frontière, fin, terme, limite.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> En posant à un ami physicien l’exemple de la voiture, j’ai été assez surpris de le voir m’objecter les petites causalités des diverses pièces les unes sur les autres. Son raisonnement était celui du laboratoire.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Il y a eu ici aussi sans doute dans cette affaire des ‘déterminations’ philosophiques, voire théologiques. Le déterminisme de St. Augustin a été repris dans le débat entre protestants (Luther et Calvin étaient des augustiniens) et catholiques, les savants appartenant surtout aux pays dominés par les premiers.</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-22552316604062578452008-02-18T06:18:00.000-08:002008-02-18T06:22:52.356-08:00Unités sociales<div align="justify"><strong>Unités sociales : usages, apprentissage, envies<br /></strong><br /> 38. Il faudrait tout d’abord distinguer les <em>sciences des sociétés</em>, celles dont le domaine est, de jure, celui de l’ensemble d’une société, à savoir l’anthropologie (sociétés peu complexes), l’histoire (sociétés agricoles autour de villes) et la sociologie (société modernes où les scientifiques interviennent), avec une indécision entre les deux dernières en ce qui concerne les derniers siècles comme période de transition, les distinguer donc des sciences sociales spécialisées en certaines structures sociales (et respectives statistiques) : démographie, économie, linguistique, science juridique, médicine publique, etc.<br /> 39. L’analyse des structures élémentaires de la parenté par Claude Lévi-Strauss dépend de la <em>sexualité</em>, un des plus étranges phénomènes biologiques<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a> : un <em>incroyable gaspillage</em>, l’excès de production de gamètes et, de plus en plus quand on monte dans l’échelle des vertébrés, de pulsions sexuelles au coït (délimitées toutefois par les cycles du rut) ; en effet, l’organisation de la sexualité pour la reproduction de l’espèce a été inventée par l’évolution en fonction des probabilités d’une rencontre hasardeuse entre deux cellules femelle et mâle. La biologie animale contredit ici tous les principes d’économie de l’anatomie et de la physiologie de ses organismes. Or, chez les humains, la disparition du rut pousse ce gaspillage pulsionnel à un tel excès qu’il semble que l’universalité de l’interdit de l’inceste se justifie comme condition stricte de la convivialité quotidienne des humains<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. Ce serait en effet une conséquence de la leçon de Lévi-Strauss, <em>l’interdit de l’inceste, c’est l’exogamie</em> : tout se passe comme s’il ne pouvait y avoir des unités locales d’habitation stables que si la sexualité y est <em>strictement restreinte</em>, d’une part, ce qui pousse, d’autre part, les diverses unités locales<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a> à échanger leurs filles et donc à créer des rapports sociaux d’alliance parentale entre elles. Ces rapports d’alliance et d’échange <em>font</em> la société : avec l’échange des femmes, ils établissent les conditions de dimension démographique qui rendent possibles l’invention et la transmission des usages tribaux, langue, mythes et rituels y compris, la solidarité dans des situations spéciales, notamment en cas de guerre<a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>.<br /> 40. Mais, d’un point de vue phénoménologique, les sciences des sociétés sont moins avancées que les autres. Les humains étant des animaux dont la biologie s’occupe, qui doivent se nourrir et sont mortels, leur double reproduction, au jour le jour et de génération en génération, doit être la question cruciale de toute société, par où il semble que l’on devrait commencer leur approche, dans le sens d’en trouver une définition générale de société, qui soit valable dès les tribus aux nôtres<a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. On peut en effet essayer de trouver une analogie entre disciplines sociales et biologiques, puisqu’on a parfois dans le passé métaphorisé les sociétés comme des organismes. Les unités de ceux-ci sont les cellules, elles-mêmes composées de molécules diverses, de même que les discours linguistiques, qui se reproduisent aussi, ont les mots en tant qu’unités, composés à leur tour de phonèmes (ou lettres). Proposons que les <em>unités sociales d'habitation</em> d’une société sont leurs ‘cellules’ – dont le but majeur est leur <em>double reproduction</em>, au jour le jour et entre générations - où habitent des segments de leur population et qu’elles sont composées, dans leur activité quotidienne et à longueur d’année, par les usages auxquels leurs habitants se vouent (les ‘molécules’ sociales). Il n’est pas difficile d’accepter que, étant mortels, ils doivent avoir comme préoccupation vitale celle de faire apprendre ces usages aux nouvelles générations qui les remplaceront. Une société n’est pas sa population, qui n’est pas empiriquement la même tous les cinquante ans ; il faudra la définir par le système d’usages qu’elle reproduit incessamment dans la Terre géographique qu’elle habite et qui la nourrit. Ce qui se fait dans ses <em>unités locales d’habitation</em>.<br />41. Qu’est-ce qu’un <em>usage</em> ? Une sorte de ‘gène’ social, un élément essentiel de la double reproduction de l’unité d’habitation : <em>c’est quelque chose de très difficile à inventer mais plus ou moins facile à apprendre</em>. Soit l’exemple d’une recette de culinaire dans la séquence de ses gestes et des matériaux utilisés : elle demande un certain temps à être apprise, implique, cas par cas, un certain aléatoire à pallier selon les circonstances concrètes, une habileté à gagner, voire une spécialisation, les uns plus capables, d’autres moins. Susceptibles donc d’évaluation par les autres habitants de l’unité sociale. Les usages seraient la clé de ce que les sociologues appellent la « socialisation des individus » : l’intérêt scientifique de ce motif, en contraste avec celui d’ ‘action’ (Touraine) ou de ‘pratique’ (Althusser), voire celui de ‘conscience’ (Husserl)<a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>, c’est d’éviter l’opposition sujets / objets, ceux-là étant censés ‘autonomes’, avec savoir, pouvoir, devoirs, que sais-je ?, ceux-ci n’étant que des instruments de ceux-là. Dans le cas des usages, cette opposition n’existe pas : le sujet qui apprend un usage devient ‘autre’ (un usager), est changé par lui. Autant celui qui apprend à cuisiner, que celle qui apprend à conduire une voiture, à parler ou à écrire, à jouer du piano. L’usager fait partie intrinsèque de l’usage, de sa définition, ne lui est point extérieur, de même que les usages sont essentiels à la reproduction de l’usager. Ces usages pourront être de type technique, mais il y en aura aussi concernant les blâmes et les récompenses, les rituels et les fêtes, la chasse collective ou la guerre, les jeux d’amour et les accouchements. N’est-ce pas cela que les anthropologues essaient de connaître, d’en faire la description, de les rapporter les uns aux autres ? Les historiens concernant le passé ? Puisque ces usages se répètent de même dans toutes les unités sociales, ils sont dits et pensés dans des <em>recettes</em>, la grande fonction du langage dans n’importe quelle société étant de pouvoir justement dire et penser les gestes que l’on fait dans chaque usage et leur séquence, les faire apprendre à d’autres. Il ne faut pas en avoir une vision ‘utilitariste’ : raconter un rêve ou un poème est aussi un usage social réglé.<br />42. Les usages socialisent, les indigènes ‘s’en ressemblent’, différent des étrangers. Mais, demandant du temps et de l’habileté devant l’aléatoire, ils singularisent aussi leur usager. La voix de quelqu’un permet de l’identifier socialement (région, couche sociale, sexe) mais aussi individuellement (on reconnaît les voix au téléphone). Les performances singulières sont donc évaluées par les autres, chacun doit faire preuve qu’il occupe sa place sociale le mieux possible, ce qui est motif d’<em>envie </em>pour les petits, qui veulent devenir comme un tel ou une telle, motivation essentielle pour leurs apprentissages, et, en général, pour la dynamique sociale qui demande qu’on ait envie d’occuper les rares places de grand prestige social, soit en termes de talent, de biens de luxe, de savoir, de courage, de générosité, etc. Mais en raison des poussées hormonales dont les humains ont hérité de l’évolution biologique, de faim, sexe, agression, qui sont ‘aveugles’ dans leur racine biologique, ces envies peuvent devenir envieuses et demandent donc d’être disciplinées socialement, de façon toutefois à ne pas en casser le dynamisme. Les façons de réguler les envies varient selon les sociétés, sans doute, qui ont des récompenses et des châtiments, racontent des histoires de héros et de méchants. Il y aura toutefois des règles morales qui sont le lot de toute société : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas violer, ne pas diffamer, pour citer le vieux décalogue biblique. Mais on peut préciser la <em>loi morale</em> de chaque société par cette formule : <em>les envies ne doivent s’accomplir que selon les usages</em>.<br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Y compris chez les plantes, dont je ne m’occupe pas.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Ceci a des affinités avec les analyses éthologiques de K. Lorenz, à ceci près qu’ici il s’agit surtout des pulsions de faim qui doivent être inhibées pour que les membres d’une société animale ne se mangent pas les uns les autres.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Les lignages mâles plutôt, dans les sociétés patrilinéaires. La relation entre les structures de parenté et les unités locales de résidence connaît beaucoup de variations.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Qui, selon P. Clastres, est assez fréquente dans les sociétés dites primitives : selon lui, les frontières des échanges (à l’intérieur) sont aussi celles de la guerre (avec l’extérieur).<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> Ceci a fait partie de mes étonnements : il n’y en aurait pas, de définition générale de société.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> C’est justement par l’apprentissage que l’on devient être-au-monde, que l’on acquiert la précompréhension qui donne des possibilités dans ce même monde. L’apprentissage implique la ‘réduction’ de l’empirique, singulier, substantiel, du maître dont on apprend et le ‘remplissage’ de l’apprenti par le savoir-faire reçu (§ 18). Derrida a déplacé la réduction phénoménologique pour l’apprentissage du langage mais elle vaut pour n’importe quel apprentissage, où l’on doit arriver à répéter soi-même de façon compétente ce que l’on est en train d’apprendre d’autrui.</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-14340047503872015462008-02-18T06:14:00.000-08:002008-02-18T06:18:16.130-08:00Le double lien social<div align="justify"><strong>Le <em>double bind</em> social</strong><br /><br />43. Les sociétés doivent se nourrir (à charge des unités locales d’habitation) et se défendre des autres (à charge de l’ensemble). En effet, d’une façon générale, dans n’importe quelle société mais avec des concrétisations plus ou moins complexes, on doit distinguer ces unités locales d’habitation - tribales, maisons anciennes, unités d’emploi (ou institutions) et familles dans la modernité – de l’ensemble social, disons <em>public</em>, qui concerne toute la population (fêtes, guerres, législation, etc.). Toute unité locale doit être retirée de ce commun, qui en est <em>privé</em>, ce mot disant heureusement le <em>retrait strict social</em>. Que ces unités soient privées, c’est la condition de l’habitation quotidienne elle-même, le retrait nécessaire pour que les usages ne soient pas encombrés par la foule extérieure. Les unités qui reçoivent des clients ont elles-mêmes toujours une zone privée, liée à leurs usages de ‘production’. Mais, d’autre part, ces usages n’ont pas été inventés par les gens qui les ont appris, plus ou moins pareils aux autres unités sociales, ils sont le lot commun de la société. La privation dit que c’est ce commun qui a été approprié par l’unité privée. De façon tout à fait générale, en dehors du sens juridique, toute propriété privée est en retrait du commun (désappropriation) <a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, étant d’autre part appropriée pour que l’habitation (les usages) soit possible de façon dynamique, organisée en autonomie, libre. L’unité sociale lie ses habitants dans le système des usages, d’un lien qui est de lui-même social, à peu près le même que dans les autres unités.<br /> 44. Mais puisque la raison d’être de cette privation est la dynamique de son appropriation, qu’elle soit ‘propre’ aux gens de l’unité, leurs envies suivront la règle générale de toute envie : d’être le meilleur, d’être envié par les autres. Les vêtements et autres ornements, le luxe, les cadeaux, la générosité des fêtes données, des potlachs aux mariages richissimes, on retrouve partout cette logique, qui cristallise dans le culte du ‘nom propre’ de l’unité, de l’honneur de la maison, du prestige de l’institution. Il va de soi que cette dynamique menace l’ensemble social de désagrégation, empêchant les solidarités nécessaires en cas de catastrophe et notamment de guerre. C’est pourquoi les diverses unités sociales sont liées par un lien social global, par <em>une loi de régulation des échanges et de la résolution des conflits</em>, qui est garantie par une instance d’autorité.<br /> 45. <em>Le lien social est donc double</em>, liant d’une part les gens dans chaque unité et d’autre part les diverses unités en une société. Celui de chaque unité sociale, songeons aux sociétés dites primitives, doit assurer la reproduction de tout un chacun, nourriture notamment, doit donc tenir compte des bonnes dimensions de l’unité au vu de la démographie, des naissances, et des conditions écologiques ; c’est la fécondité de la terre, femmes y comprises, qui donne la règle de segmentation : il ne faut pas trop d’habitants ni trop peu, pas trop d’envies ni trop peu. Or, comme la fécondité est la richesse que toutes les unités locales recherchent et qui attire donc les envies des unes sur les autres, on comprend que la loi qui régit le lien de chaque unité soit <em>inconciliable</em> avec la celle qui régit l’ensemble et doit faire contenir les excès ; d’autre part, dans la mesure où toute seule, aucune unité ne pourra se défendre des autres tribus étrangères guerrières, ces lois sont ainsi <em>indissociables</em>.<br /><br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> C’est vrai aussi de ce que nous avons de plus ‘propre’, notre singularité, notre ‘je’, notre pensée, qui nous viennent des usages communs désappropriés des autres et appropriés (appris) par nous (ou bien ce sont eux qui nous ont appropriés). Les mots des autres avec lesquels nous pensons, on l’avait dit, deviennent ‘nos propres’ mots. </div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-90207195994611530282008-02-18T06:12:00.000-08:002008-02-18T06:14:40.956-08:00Le retrait donateur des ancêtres<div align="justify"><strong>Le retrait donateur des ancêtres : sacré et culture</strong><br /><br /> 46. Arrivés ici, il est temps de faire intervenir un autre type de retrait, en plus du retrait strict, indiqué déjà au § 28. La reproduction sexuelle se fait d’une façon assez étonnante, par miniaturisation et très lente croissance. Chez les mammifères, au lieu des œufs pondus à l’extérieur, ce processus a été internalisé dans l’anatomie des femelles, leur utérus d’abord, allaitement ensuite. Dans l’œuf invisible qui résulte du coït est placé, est <em>donné</em> le programme génétique de l’espèce ; l’un des donateurs s’en va tout de suite tandis que la donatrice de l’ovule fécondé se retirera fort lentement, pour qu’il puisse gagner l’autonomie d’un futur adulte. Déjà au bout de trois semaines, l’embryon nourrit ses cellules par son propre sang, mais celui-ci doit être ‘chargé’ par le sang maternel. Un autre pas de retrait est l’accouchement, où les appareils digestif et respiratoire du bébé entrent en fonctions, mais toujours nourri par le lait maternel, dont le sevrage représente un autre pas du retrait de la donation. Mais pendant de longues années, on devra lui donner la nourriture, avant qu’il puisse le faire de façon autonome. De même, on l’a suggéré aussi, ceux qui leur apprennent la parole et les savoir-faire s’en retirent, dans un procès aussi de miniaturisation, où il faut donner les mots, les gestes, leurs règles au compte-gouttes, à leur mesure, notre savoir d’adultes tenu en réserve. Au fur et à mesure où l’enfant parle et utilise, il y a retrait de ceux qui lui ont appris, qui pourront souvent être surpris de l’habileté manifestée. Ici, le donné est le savoir social qui rend possible la reproduction de la société, les donateurs sont légion, puisqu’on apprend jusqu’à ses derniers jours.<br /> 47. Pourquoi appeler <em>retrait donateur</em> (ou retrait de la donation) ce phénomène si courant et banal ? C’est un langage heideggérien, que Derrida a repris dans son motif de la trace. Il permet de comprendre des aspects des sociétés qui sont moins bien perçus. Parler de retrait donateur pour l’héritage de la langue de la tribu, implique que celui qui est en retrait (dans sa trace effacée) n’est pas tout à fait absent, qu’il reste graphé dans le cerveau de l’apprenti, effacé mais susceptible de revenir inopinément à la mémoire, ou bien en rêve. <em>Il est là sans y</em> <em>être : en retrait</em>. Or, c’est l’état en général des ancêtres de toute société : absents, puisqu’ils sont morts, mais là, en retrait, dans l’efficacité des usages qu’ils ont, quelques-uns inventés, la majorité transmis, donnés. C’est cette efficacité de la donation en retrait que manifestent deux types majeurs de phénomènes sociaux : le sacré et la culture. Les deux sont par essence ancestraux. Les scénographies des dieux et autres êtres immortels varient beaucoup, mais elles ont en commun de parvenir à rendre les ancêtres là, malgré leur absence, en répétant mythes et rituels le plus scrupuleusement possible (‘religio’, c’est ‘relegere’), tels qu’ils les répétaient aussi. Quels ancêtres ? Tous : le sacré est holistique, il vient de tous les ancêtres et concerne tous les habitants actuels. Son rôle est structurellement ‘conservateur’, empêcher les innovations qui changeraient le système des usages ancestraux<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, Lévi-Strauss l’a remarqué des mythes amérindiens qu’il a analysés superbement. Ou bien, « la société contre l’État » de P. Clastres.<br />48. Par contre, on peut dire <em>culture</em> la façon dont ce phénomène se présente dans les sociétés à écriture et invention technique plutôt fréquente. Un nouveau texte important, l’invention du train ou de la voiture, altèrent ce qui vient des ancêtres, en ajoute, incite les habitants à trier dans l’héritage. À un certain seuil d’innovation, le holisme sacré se défait, beaucoup d’œuvres culturelles sont référées à ceux qui les ont créées, on ne peut accéder à tous (qui souvent s’excluent mutuellement), on doit <em>critiquer, choisir</em>. C’est la signification du mot grec ‘hérésie’, un phénomène structurel là où il y a multiplicité de textes. S’y oppose l’orthodoxie comme tentative de garder l’holisme du sacré. Mais il y va de la culture comme du sacré en ce qui concerne les ancêtres : quand je lis Sartre, je lis ce qu’il a écrit, le temps de ma lecture je coïncide dans le signifiant du texte, pour ainsi dire, avec son écriture, avec lui écrivant, je lis les mots et phrases qu’il a écrites, je deviens le même que lui pendant un bout de temps, plus ou moins capable de saisir ses arguties, bien sûr. Et dans ce que j’apprends de lui, y compris éventuellement de façon critique, <em>il reste là, mon ancêtre, chez moi en retrait</em>. Contre l’empirisme myope, les ancêtres font partie des sociétés : toute synchronie actuelle reste incompréhensible si l’on n’en tient pas compte.<br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Qui ont fait leurs preuves, puisqu’on est là grâce à leurs usages.</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-25271899294864532742008-02-18T06:07:00.000-08:002008-02-18T06:11:32.735-08:00Les deux modernités<div align="justify"><strong>Les deux modernités et leurs violences : conquête et révolution<br /></strong><br />49. Si <em>le geste moderne</em> est l’invention de nouvelles techniques et la prolifération de l’écriture, il faut dire que, en Occident, il y a eu deux modernités, celle des Anciens, qui a eu son apogée dans l’hellénisme et dans l’empire romain tout autour de la Méditerranée, et la nôtre, qui, issue dudit Moyen Âge, est venue à l’Europe industrialisée et scientifique et à la civilisation mondiale actuelle sous égide américaine.<br />50. La grande invention, très lente sans doute, qui sépare les sociétés dites sans histoire de celles qui en ont une, fut celle de l’agriculture et de l’élevage d’herbivores, à la fois la sortie des humains de la loi de la jungle et la domestication de celle-ci, de ses énergies végétales et animales, en leur faveur. Cette ressource énergétique biologique, incluant celles des muscles des humains eux-mêmes, sera à peu près la seule jusqu’à l’invention des machines<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. Ce métier agricole, qui sera celui de la plupart des populations, a créé des excédents de nourriture qui ont libéré une partie des gens pour trois autres types de métier. Ceux des artisans avec spécialisation progressive du travail et conséquentes formes d’échange, dans des régions autarciques faites de villes entourées de campagne. Ceux des guerriers qui auront la charge de défendre ces régions des attaques de guerriers voisins envieux et d’essayer aussi de les vaincre et conquérir, dans une logique de guerre de conquête qui rendra possible la formation de royaumes plus ou moins vastes, voire d’empires plus ou moins durables. Cette <em>logique de la conquête</em> durera, elle aussi, jusqu’à l’industrialisation, Napoléon ayant été la dernière grande figure de général conquérant<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>.<br />51. Ces trois types de nouveaux métiers ont changé les unités locales d’habitation en fonction de la nouvelle donne écologique, en faisant coïncider les conditions de l’activité économique avec la façon de régler les alliances de parenté et l’échange de femmes : <em>maison</em> est le nom des nouvelles unités sociales où économie et famille, hérédité et héritage, font un, tout au moins comme noyau (si l’on songe aux esclaves ou domestiques des grandes maisons des nobles guerriers). Par contre, un quatrième type de métier, celui de l’écriture, plus lent sans doute à se départir des palais royaux et de leurs temples, a donné origine en Grèce à un type nouveau d’unité sociale, <em>l’école</em>, déliée des fonctions de parenté, qui a institué une autre manière de transmission entre générations que celles des maisons, non plus entre père et fils, mais entre maître et disciple (institution). Ce n’est plus l’héritage qui en est le critère, mais la ‘vocation’ testée dans l’aptitude à la lecture et à l’écriture<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>.<br />52. Si les sociétés dites primitives ont été, pour la plupart et selon P. Clastres, des sociétés qui se faisaient habituellement la guerre entre elles, il semble bien que le fait que les sociétés agricoles et à métiers de ville aient eu partout des guerriers de métier comme classe noble montre comment elles ont été essentiellement des sociétés guerrières, qui se sont libérés de la loi de la jungle pour se soumettre à la <em>loi de la guerre</em><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>, sous la forme de conquête pour imposer vassalité et tributs, condition des royaumes (moyennant assurance de défense contre les guerriers du dehors, la guerre étant, avec la faim et la peste que souvent elle amenait avec elle, le fléau des paysans). L’esclavage est sans doute l’autre grande évidence pour la domination de cette loi : l’énigme de l’effondrement de l’empire romain et de la conséquente ‘ruralisation’ des siècles qui l’ont suivi s’en explique aisément par le fait que l’économie impériale était supportée par les esclaves (lien des grandes maisons latifundiaires) et que l’unité de l’empire (lien social global) dépendait des armées veillant sur les frontières, que donc le <em>double bind</em> était d’infrastructure guerrière : celle-ci a cédé parce que contredite par la ‘pax romana’ que l’empire avait imposée – les guerriers suspendaient la loi de la guerre - et qui le justifiait en tant qu’empire.<br />53. Venons-en à notre modernité. Son origine vient aussi des sociétés guerrières à maisons agricoles et à quelques villes à métiers spécialisés, mais avec une grande différence par rapport à la première modernité : elle en a hérité et d’une religion (holistique, sans doute, mais se référant à un livre, ce qui n’a cessé de fomenter des ‘hérésies’ dans son sein) et d’une culture littéraire et philosophique dont elle a pu, très tôt, créer des écoles<a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. La Bible et la philosophie à son berceau, voilà une première grande différence par rapport à la Grèce, l’autre ayant été le lent développement de bourgeoisies qui, dans certaines régions libres de potentats royaux (en Italie et sur les côtes septentrionales), ont pu développer un croisement entre invention technique et capital marchand<a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a> : avec l’invention de l’imprimerie et, en conséquence, le développement des écoles au-delà des clercs et des fils des nobles, là serait le secret dudit ‘miracle européen’<a title="" style="mso-footnote-id: ftn7" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>. Ce furent ainsi les héritages d’ancêtres grecs, juifs et romains, en jouant de façon critique les uns contre les autres et se mêlant, qui ont rendu possible la modernité européenne, dont l’invention décisive - s’il y en a eu une, faisant le tournant - fût celle par où l’on a commencé ce texte, celle du <em>double bind</em> de la machine par Watt.<br />54. Celle-ci représente une nouvelle forme de domestication de l’énergie : non plus biologique mais celle de la chaleur - plus tard électrique, de l’explosion des gaz et des noyaux des atomes - que la machine transforme en énergie mécanique, ou thermique, lumineuse, etc, en liant de façon indissociable et inconciliable deux lois, l’une physique, l’autre sociale, concernant des usages, du travail. Et ceci à très haut rendement, par comparaison avec l’énergie biologique, donc avec la promesse de beaucoup plus d’abondance et de richesse en aval, mais demandant en amont des capitaux disponibles. C’est pourquoi la machine est indissociable du capital, quels que soient les régimes politiques, qu’elle obligera toutefois à changer par révolution (au sens d’ ‘industrielle’). Celle-ci se manifeste dans la cassure des maisons d’antan et dans la création d’un (presque) nouveau type d’unité sociale que j’appelle <em>institution</em> : unité sociale où l’on ne rentre pas par naissance ou mariage, comme dans les maisons d’autrefois, mais par contrat avec celui qui a la propriété juridique des machines et pour un nombre limité d’heures par jour. Ceci suppose donc d’autres unités locales, <em>les familles</em>, invention moderne spécialisée en ce qui concerne l’ordre de la parenté et l’habitation en dehors du travail, mais aussi deux autres grands types d’institutions qui assurent les liens entre institutions et familles. D’une part, l’école généralisée qui accorde les savoirs nécessaires pour les emplois, et fait donc le pont entre les familles (où naissent les gens) et les institutions (où elles vont travailler) et d’autre part le <em>marché</em><a title="" style="mso-footnote-id: ftn8" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a> qui assure les échanges de marchandises, soit entre institutions, soit entre institutions et familles, les salaires accordant à celles-ci le budget qui permettra aux (mammifères) humains de se nourrir et en général d’habiter, en profitant de la nouvelle abondance créée par la machine.<br />55. Les guerriers nobles d’antan ont été remplacés par les ingénieurs et par les capitaux, la violence de la conquête par celle de la révolution, dont la logique est tout autre. D’abord, il s’agit, avec la machine, de remplacer un usage ancestral (de transport, de fabrication) par un autre totalement différent, qui vient d’ailleurs (de nouveaux ancêtres, souvent étrangers, parfois pas encore morts<a title="" style="mso-footnote-id: ftn9" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>) et demande un tout autre savoir-faire, qu’il faut donc apprendre, si l’on est encore en âge de le faire<a title="" style="mso-footnote-id: ftn10" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>. Ensuite elle joue sur les promesses d’abondance (le progrès matériel, donné en spectacle, sous forme de luxe, par les médias) et sur les besoins d’un salaire pour habiter. C’est-à-dire que, de jure, la violence ne s’exerce plus, comme avant, par la loi visible de l’Autre, l’hétéronomie du père et patron ou du roi et seigneur au moyen de la force musculaire ou des armes, mais sur les autonomies qui sont attirées et doivent se soumettre à des hétéronomies plus ou moins effacées : ‘c’est dans mon intérêt que je dois travailler’. Ceci ne concerne pas seulement les ouvriers ou les salariés, mais tout môme doit apprendre vite que l’école récompensera plus tard ses efforts pour étudier, que ses talents seront susceptibles de rentabilité, celle-ci devient la norme, la productivité (mesurée en des chiffres par le capital).<br />56. Les révolutions politiques sont des effets, avec toutes sortes de décalages, de cette logique : leur violence politique, leurs partis uniques, léninistes ou nationalistes, dans les pays importateurs de modernité (des techniques et des idées), relèvent de cette violence. Les révolutions de libération coloniale des années 50 et 60 elles-mêmes, si sympathiques, se sont révélées ensuite, hélas !, n’avoir été que la transition de la logique coloniale de conquête à la logique néo-coloniale de la révolution industrielle<a title="" style="mso-footnote-id: ftn11" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Ce qui justifie d’emblée, on y reviendra, la prédominance de la philosophie aristotélicienne de la phusis dans les écoles européennes jusqu’au 18e siècle.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Les deux grandes guerres mondiales du 20e siècle, déclenchées par les armées allemandes, auront été en ce sens anachroniques (faute d’anticipation du néo-colonialisme ?), le dernier sursaut de (la plus puissante nation de) l’Europe, à la veille de la montée des ingénieurs et des États Unis.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Il y a eu deux moments historiques exceptionnels où l’écriture alphabétique a eu des effets notables sur les liens sociaux de type global, moyennant la prolifération de textes et les discussions qu’elle a engendré, la suscitation notamment d’un scepticisme nouveau : la multiplication de manuscrits dans la seconde moitié du 5e siècle av. JC et les conflits concernant l’enseignement des jeunes (la condamnation de Socrate en est le témoin), la divulgation de l’imprimerie au 16e siècle, où les témoins sont la rupture fracassante de la religion de la civilisation (acheminées les nations protestantes vers la modernité) et la sinistre inquisition dans les pays latins non libérés.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Le cannibalisme, où il a existé, a peut-être été l’effet du croisement de ces deux lois.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> Le philosophe espagnol O. Market a dit que l’université a été la plus belle invention de l’Europe. Si l’on pense que l’Europe n’est issue de la Chrétienté médiévale qu’avec la Renaissance et le Protestantisme (et la découverte par les Portugais des routes des océans), il faudrait inverser le propos et dire que c’est elle la plus belle invention de l’Université (et des bourgeoisies).<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> Qui n’a jamais pu s’imposer dans les sociétés anciennes où le commerce était soumis au pouvoir monarchique et où le travail des mains et du commerce a toujours été ‘servile’ (d’esclaves ou de métèques) et ‘indigne’ (de mercenaires). Impossible aussi l’expérimentation scientifique à venir.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn7" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> Dont la ‘solution’ par l’historien E. Jones demanderait donc, en plus des critères économiques, de prendre en compte autant les écoles, les livres et la philosophie que la bourgeoisie, dont le plus grand éloge reste paradoxalement celui du premier chapitre du Manifeste du Parti Communiste de 1848.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn8" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a> Le marché est une sous-scène sociale qui, comme le politique et l’école avec les médias, traverse toutes les autres sous-scènes (nourriture, santé, transports, construction, familles) ; elle est susceptible aussi d’analyse en double bind, à partir de la théorie de la monnaie et de la marchandise du 1er livre de Le Capital (Goux, 1969), de même que l’instance politique, à partir de Hegel.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn9" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> De même que la lecture du livre d’un plus jeune que moi et qui me bouleverse fait entrer son auteur dans le panthéon de mes ancêtres à moi.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn10" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a> Les vieux perdent leur statut privilégié d’anciens, de ceux qui ont le plus grand savoir : celui-ci, se renouvelant vite, est souvent le fait des plus jeunes.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn11" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a> Le concept de colonie vient dès les temps des Phéniciens et des Grecs : des étrangers plus civilisés arrivent et créent, en usant de la force contre les indigènes s’il en faut, des unités sociales analogues à celles de leur pays, selon leurs usages et à leur seul profit et de leurs métropoles. Dans les Amériques, en Afrique et en Asie (sauf Japon et Chine), le colonialisme qui a suivi la découverte des itinéraires maritimes a été une pareille conquête. Aujourd’hui, une exploitation minière de pétrole ou autre, avec des techniques occidentales et les indigènes employés pour les travaux qui ne demandent pas de savoir, avec la complicité des autorités qui en bénéficient, est le même modèle, la violence révolutionnaire qui exclut les indigènes par leur ignorance ayant remplacé celle de la conquête. </div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-91632247744759326982008-02-18T06:04:00.000-08:002008-02-18T06:07:35.352-08:00De l'autarcie à l'hétérarcie<div align="justify"><strong>De l’autarcie à l’hétérarcie</strong><br /><br />57. Les logiques des deux modernités, des sociétés à maisons et des sociétés à institutions et familles, sont donc très contrastées, autant que leurs formes d’énergie. Là où règne l’énergie biologique, il faut apprendre à la guider et la faire fructifier, sans en avoir jamais de contrôle suffisant : de la fécondité agricole ou du bétail, voire des héritiers mâles. Les mythes religieux, qui racontent toujours que la fécondité est le secret des dieux, semblent être le corrélat de cette dépendance des sociétés par rapport à la ‘nature’, à la <em>phusis</em> d’Aristote. Avec toutefois une sorte de compensation : les maisons agricoles, quand tout marche bien, se suffisent à elles-mêmes, sont autarciques, de même que les villes dans leur région alentour. Le commerce (tout comme l’école) a toujours été marginal à ces populations, chose des villes, et surtout du roi et des nobles, commerce de luxe. Le savoir-faire, des paysans et bergers comme celui des artisans et des guerriers, est tout autant autarcique, appris sur place de père en fils et mère en fille, à l’instar des recettes culinaires de famille, avec éventuellement les secrets de la maison, demandant de l’habileté devant les circonstances aléatoires. Ce savoir-faire, si méprisé par les modernes, a toutefois le sceau de sa valeur : c’est lui qui a rendu possible que la maison en soit arrivée là, il est donc à répéter le mieux possible. C’est dire que l’héritage est la poutre maîtresse des maisons (et pas les affects) : du nom et de son honneur, des terres, troupeaux et bâtiments, des savoir-faire, voire des vertus. Par contre, le prix de ces sociétés c’est qu’il n’y en a pas d’individus, au sens moderne : les gens appartiennent à la maison, où toute leur vie est intégrée et soumise à la loi parentale. Même le père, hors de chez lui, ne vaut que le poids de sa maison.<br />58. La logique des sociétés contemporaines est l’inverse, point par point, ou presque. On y devient assez vite ‘individu’ dans la mesure où l’on est l’habitant de plus d’une unité sociale (famille et école, emploi plus tard), sans donc être ‘intégré’ entièrement par chacune<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. La spécialisation des unités sociales les fait dépendre les unes des autres, dans un réseau immense qui n’a cure des frontières, puisque la machine n’en connaît point et que les monnaies sont en train de trouver des façons de se tenir ensemble, voire de s’unifier. C’est ce que Heidegger a pensé dans le motif du <em>Ge-stell</em>. Une usine impli­que en faire d’abord un or­ganigramme et les calculs res­pectifs, c’est-à-dire re-présenter, placer de­vant (<em>dar-stellen</em>) l'ensemble d'avance, le programmer. Puis il faut réquisi­tionner (<em>bestellen</em>) les machines, les matières premières, etc., et les placer (<em>stellen</em>), y compris les em­ployés (<em>stellung</em>, em­ploi). Ce sont des conditions - de raison - préa­la­bles de la mise en mar­che de l'usine par le capital investi (placé), des conditions de sa 'maîtri­se' sur tout ce qu’il interpelle pour l’obliger à ‘rendre raison’ (aussi <em>stellen</em>) et pouvoir donc le commander, le réquisi­tionner, suivre de très près. Or, cela est vrai aussi de toutes les autres usines déjà en marche et des autres institutions. C'est <em>cette hétérarcie</em><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2"><em>[2]</em></a><em> pro-grammée par une raison qui calcule et prévoit</em> que Hei­degger a nommé <em>Ge-stell</em><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a> : ce qui ras­semble (<em>ge</em>-) les divers 'emplace­ments' et 'emplois' et les di­rec­ti­ves des 're-pré­senta­tions' que l'on se fait de la mar­che de l'en­semble et qui, à partir de la science physique, “met la nature en demeure (<em>stellt</em>) de se montrer comme un complexe calculable et prévi­sible de forces” (1958, p. 29). En tant que tel, le réseau reste sans maîtri­se; en ef­fet, il ne peut pas s’arrê­ter (sans pertes et gaspil­lages de toutes sortes, de profits mais aussi de salaires, bien sûr), ce qui im­plique une sorte d'im­péra­tif: 'Il faut que Ça marche!'. Il faut que chacun - adminis­tra­teur, ban­quier, ministre, tout comme ou­vrier ou manœuvre - soit à son poste, à son 'emploi' dans le sys­tème, sans qu'il y ait des places 'dehors', ni divi­nes ni trans­cen­danta­les. Quand il y a crise, rançon de l’hétérarcie, tout le monde est atteint, même si certains peuvent s’en défendre mieux que d’autres.<br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Ou bien, un autre exemple d’individuation impossible dans les sociétés anciennes, où apprendre c’était devenir équivalent au maître que l’on remplacerait plus tard : on apprend à utiliser des machines sans savoir comment elles fonctionnent, de même qu’on lit des livres fort différents, sans avoir la spécialisation de leurs auteurs.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Auto-arcie est se suffire soi même (auto), hétéro-arcie, à l’inverse, la dépendance des autres (héteroi).<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Pas simple à traduire, correspond pourtant étymologiquement au grec syn-thèse ou au latin com-position. </div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-43298367978180097412008-02-18T06:01:00.000-08:002008-02-18T06:04:30.604-08:00Aristote et Kant<div align="justify"><strong>Philosophie <em>avec</em> histoire : l’exemple d’Aristote et Kant<br /></strong><br />59. Dans un autre texte, Heidegger appelle <em>Gestellung </em>la<em> phusis</em> d’Aristote, la ‘nature’, ce qui suggère que, sans l’expliciter tout à fait, il aurait pensé dans la variation de ce mot la différence entre les deux types de société, les unes étant mues par les énergies des vivants et les autres par celles des machines. On sait quelle place importante le motif de l’autarcie a chez Aristote, à qui l’on doit le motif de l’<em>ousia </em>(autant la ‘substance’ des vivants que leur commune ‘essence’, disons de façon approximative). Si on le compare à Kant, qui a introduit la physique de Newton dans sa métaphysique (Vuillemin) et en conséquence exclu la ‘substance’ - l’ontologie devient gnoséologie, l’être est interprété comme ‘thèse’ (Heidegger) -, on pourrait constater que leurs pensées répondent chacune au type de civilisation de chaque modernité<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. Ainsi, par exemple, l’autonomie du sujet kantien, qui a en lui les catégories de la pensée gnoséologique (rationnelle et scientifique), est adéquate au nouvel individu en train d’émerger pour une civilisation <em>Ge-stell</em>, à savoir de type scientifique et technique, tandis que les catégories de chez Aristote concernaient plutôt les récits des vivants (qui, où, quand, quel, combien, en quelle position, faisant ou subissant, un peu comme celles du journaliste). C’est-à-dire que le contraste très fort de ses pensées relève des différences structurelles de leurs civilisations, qui sont les différences entre deux Physiques, celle des vivants et celle des inertes. Si l’on admet ceci, on peut repérer des parallélismes fort étonnants, avec un semblable projet général, disons, pour privilégier le mouvement sur la substance, a) en sachant que celui-là est relatif (c'est aussi le cas de la géné­ration et de la corruption chez Aris­tote), b) sans tomber dans le re­lativisme (des sophistes et empiristes) et c) tout en critiquant l'éternel ou ab­so­lu (Platon et Descartes ou Leibniz), la <em>séparation dualiste</em> entre le ciel des idées et la terre des choses. Or, ce programme n'est possible que dans la mesure où la syntaxe théorique pro­posée<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a> soit à la fois celle du su­jet connaisseur (Kant) ou du lo­gos (Aristote) et du mou­vement physique dans sa causalité, cet ‘et’ désignant la place irréduc­tible chez les deux penseurs de l’expérience sensible dans l’acheminement vers la connaissance intelligi­ble. C’est-à-dire que, chez l'un comme chez l'autre, <em>mutatis mutandis</em>, les catégories (de pensée) sont aussi ce qui unifie les causes du mouvement physique: il ne s'agirait donc pas de 'deux' syntaxes, celle de la pensée et celle du mouve­ment, mais d'une seule (<em>ousia</em>, chez Aristote, est autant l'essence que la substance). De même que chez Kant le trans­cen­dantal rend possible l'empirique dans la synthèse a priori, il faut comprendre que chez Aristote aussi le logos 'anticipe' (accueille et unifie) ce dont il peut parler, sans sé­pa­ration entre idéel et réel. Cette 'synthèse a priori' revient au fond à nier l'opposition 'analy­se / synthèse', c’est-à-dire qu'il y ait un quel­conque 'avant' la dis­per­sion: les noumènes des choses chez Kant auraient un statut pro­che, soit de celui d’<em>ousia</em> première, la ‘substance première’ ou subs­trat de chaque étant particulier, pas susceptible de science, connaissable seulement dans ses ‘accidents’, soit de celui de l'<em>hulê</em>, la 'ma­tière' aristotéli­cienne - qui n'est repé­rable qu'informée par une forme -, qui disparaît chez Kant (au sens du moins où le phé­nomène est ce qui apparaît) avec les noumènes, la chose en soi in­con­nue, l'exis­tence du Monde.<br /> 60. Et l'on retrouve une autre similitude étonnante: le geste aristotélicien de critiquer les Formes idéales éternelles de Platon, geste qui permet de connaître les choses de ce monde, est à rapprocher de la mise kantienne de Dieu hors de la connaissance humaine, ainsi que de sa contestation des preu­ves de l'existence de Dieu. Car c'est le même geste: le re­fus d'un référentiel absolu (extérieur) pour la connais­sance. Certes, les arguments scolastiques en faveur de l'existence de Dieu (sauf l'ontologique, il va de soi) sont d'origine aristotéli­cienne, ce qui tient à sa physi­que, au privilège des étants vivants comme ayant le mouvement de par eux-mê­mes (<em>euatô</em>); chez Kant, c’est l'inertie des corps de la phy­sique newto­nienne qui, tout en rela­tivisant la 'substance' - comme masse mesurable ou quantité de matière, donc en rap­port essentiel avec d'autres masses, il n'y a de masse que par rapport à d'autres masses (§ 66n) - et en attri­buant toute modification de l'état inerte d'un corps (en repos ou en mouvement rectiligne uniforme: c’est-à-dire tout effet d'accéléra­tion, soit positive soit négative) à des forces extérieures au corps (refus donc de la 'force d'inertie' de Newton), c'est cette inertie du mouvement physique qui donne donc congé au Dieu des philoso­phes. L'âme immor­telle, avec son rapport privi­légié aux Formes idéales ou à Dieu, est congédiée elle aussi de la con­nais­sance, chez Aristote comme chez Kant, par les mê­mes rai­sons 'réalistes', comme on dit: pour que la con­naissance puisse com­mencer exclusi­vement par l'expérience sensi­ble, sen­sa­tions, per­ceptions, imagina­tion, etc. C'est, chez chacun à sa façon - au­tarcie et autonomie respec­tivement - l'affirmation rationnelle et fière de la finitude humai­ne. Si opposés dans leurs phy­si­ques, si proches ce­pendant dans le grand geste philosophi­que: faut-il s'éloigner le plus pos­sible d'un grand penseur pour deve­nir son prochain?<br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Ayant soin, bien sûr, de préciser que les rapports entre les divers éléments de la civilisation moderne européenne ne se sont pas explicités simultanément, mais avec des décalages : la machine à vapeur est inventée cent ans avant la thermodynamique qui lui fournit la théorie, ou bien les armes à feu, remplaçant les armes blanches de la civilisation ‘naturelle’, sont apparues au tournant du 15e au 16e siècles, un peu avant le protestantisme. Et si Napoléon sonne le glas de la conquête, il inaugure aussi avec son code civil l’administration moderne.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Qui revient chez Kant à dépasser l'atomisme, comme Aristote refuse celui de Démocrite.</div>Unknownnoreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-36097244156685162222008-02-18T05:55:00.000-08:002008-02-18T06:01:02.329-08:00Le carré des inscriptions<div align="justify"><strong>Le carré synoptique des ‘inscriptions en une matière d’emprunt’</strong><br /><br />61. Faisons une parenthèse pour aller voir, dans la scène du langage, d’autres que lui. Distinguons parmi les usages ceux qui sont de genre technique de ceux qui n’en sont point : les rituels, les lois et d’autres usages du même genre. Où situer le langage ? comment le caractériser parmi les structures de l’habitation des humains ? Ce n’est pas un usage comme les autres ; s’il s’apprend, oh combien lentement ! et se reproduit donc de génération en génération comme tous les autres, il a la spécificité d’être nécessaire aussi, sous forme de <em>recettes</em>, à la reproduction de tous les autres. Cette caractéristique semble liée à une autre qui le distingue des usages de type technique, qui ont, pour ainsi dire, une fonction ‘substantielle’ (construction, machines, instruments, aliments, etc.) qui a un rapport essentiel avec la matière inerte dont ils sont construits ; le langage, par contre, est constitué par un jeu différentiel d’éléments, des mots doublement articulés (§ 27) qui s’inscrivent dans une ‘matière’ autre, sonore ou surface (les sons des gorges humains ou des télégraphes par morse, les papiers ou équivalents des écritures, les petits trous saillants du braille)<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a> et en changent aisément, puisque ils sont destinés à s’échanger entre voix et ouïes. Or, cette forme d’inscription, le langage l’a en commun avec d’autres jeux de différences, dont la musique, les caractères de la mathématique et les images. La première partage la matière d’inscription avec le langage proprement dit, l’oral, mais est aussi susceptible de notation écrite, qui est d’autre part essentielle aux opérations avec des nombres et aux images. On peut aujourd’hui trouver une façon commode de distinguer ces quatre types d’inscription des autres techniques : seuls ils sont susceptibles de transmission au loin par des câbles électriques ou des ondes électromagnétiques, d’être reproduits en ordinateur.<br />62. Puisqu’il semble qu’il n’y ait pas de nom commun pour ces quatre types d’inscription, différentiels et non ‘substantiels’, on peut élargir à l’ensemble l’expression d’Alain pour caractériser la peintu­re : « inscription dans une matière d’emprunt » (Somville, p. 46). Il s’agira ici d’un essai de caractérisation réciproque de ces quatre formes d’inscription, selon un carré (presque) synoptique. Pour le faire, on prendra une caractéristique qui leur est commune à l’exception des images : leurs éléments s’articulent selon une linéarité à la fois spatiale et temporelle, de façon telle qu’ils se distinguent réciproquement sans se surplomber (sauf les harmoniques musicales), sont composés (implicitement) par des opérations de commutation (des linguistes). Voici le carré. <em>Le</em> <em>langage oral et son écriture alphabétique</em> sont doublement articulés, car ils forment leurs phrases par articulation (syntaxe) des unités de référence aux choses, les mots, qui à leur tour sont composés d’unités immotivées (les phonèmes et les lettres, qui ne sont référence ni image de rien, n’ont point de signification). <em>L’écriture mathématique</em> articule seulement des unités de référence, chiffres, lettres et signes syntaxiques d’opération, dont la signification est conventionnée préalablement ; elle ignore donc le niveau des unités immotivées. <em>La musique</em> n’a, elle aussi, qu’une seule articulation, mais c’est d’unités immotivées (lesdites notes musicales), puisque sans référence, dont sont composées les mélodies musicales. <em>Les images</em> enfin, unités de référence par définition, ne s’articulent pas linéairement, elles sont composées en surfaces ou plans sans qu’on puisse même parler d’éléments discrets, de segmentation.<br />63. Ce carré synoptique permet de déduire les propriétés principales de ces quatre types d’inscription en une matière d’emprunt. Les <em>langues</em> doublement articulées utilisent la <em>polysémie</em> des mots plus fréquents comme moyen économique essentiel et permettant une grande variabilité de discours, de styles et de performances, dès les différentes poésies et littératures aux textes gnoséologiques des sciences et philosophies (qui se défendent de la polysémie par le moyen de la définition). S’agissant de langues nécessaires à toute société pour la reproduction de leurs autres usages, l’immotivation de leurs unités élémentaires a eu comme conséquence historique la multiplication des langues, avec séparation les populations en indigènes et étrangers, quelles que soient les incidences généalogiques des unes sur les autres<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. Pas d’universalisation sans traduction, ce qui constitue un grave problème pour l’universalité de la raison européenne. La seule articulation <em>mathématique</em> de ses unités de référence exclut la polysémie et rend possible l’exactitude de cette écriture et sa ‘vérité’, l’erreur étant d’ordre purement syntaxique ; mais les limites des ‘caractères’ lettres (pour les constantes et les variables) montrent bien que les mathématiques sont structurellement fragmentaires<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>, selon des équations répondant à des problèmes spécifiques (définis par la constellation de leurs variables) et ne formant pas de textes (qui supposent succession de phrases différentes quant au sens) ; étant essentiellement écriture, elle ne dépend pas des langues orales ni des alphabets<a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>, elle est donc universelle <em>de jure</em>. Immanente, puisque sans unités de référence, <em>la musique</em> est la seule de ces inscriptions qui puisse être dit abstraite, insusceptible de vérité et à liberté de composition maximale. Le propre de <em>l’image</em>, sans articulation d’éléments discrets, est d’être singulière, pas résumable, sans polysémie (en sens strict) ni de ‘sens’. Elles n’existent qu’en composition, en général rectangulaire ; l’art de la photo, du cinéma et de la peinture figurative est justement celle de la composition des plans, de ce qu’il faut y inclure et en exclure, de l’échelle (du grand plan à la panoramique) et de la perspective. Susceptibles de fiction depuis toujours, le tableau et le dessin, et donc dubitatifs quant à la vérité, la photographie a introduit une époque de ‘vérité’ des images que leur digitalisation récente est en train de clore.<br />64. La question de la liberté et de la vérité en ce qui concerne les langues doublement articulées est plus complexe et mérite réflexion à part. Si dans les langues, il n’y avait que la liberté musicale sans aucune vérité repérable, ce serait l’anarchie des libertés, personne ne s’entendrait. Si, par contre, il n’y avait que la vérité exacte des mathématiques, on parlerait comme des machines, sans aucune liberté. Si enfin les mots étaient singuliers comme les choses à dire, permettant des milliers de ‘photos’ différents de chacune, elles seraient carrément inutiles. Or, tandis que les autres inscriptions sont en général le fait, sinon de spécialistes, tout au moins de gens doués, le langage oral doit être – avec les autres usages communs de la tribu - le bien de tout le monde, permettant à chacun, non seulement de marquer sa place singulière, comme tout d’abord de penser et d’être structuré en tant qu’être humain. La difficulté est celle de devenir singulier dans son style et dans ses performances quand on a à apprendre des autres et à répéter leurs règles pour se faire entendre et accepter. Un petit et très fort texte de F. Flahault (1979) a résolu la question, en soulignant que dans une conversation il y a toujours une seule place de parole qui est à prendre : qui parle doit faire valoir son droit à se faire entendre des autres, sa <em>pertinence</em><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. Or, celle-ci ne naît pas spontanément, doit être cultivée et pour cela il faut être corrigé par les autres, apprendre à ne pas dire ce qui vient spontanément à la tête, à se critiquer pour soi d’abord, silencieusement, pour éviter la critique sociale, bref on doit apprendre à dissimuler, à garder des secrets, à cultiver son for intérieur, sa ‘vie intérieure’, sa pensée en somme. Cette <em>capacité de dissimulation</em> est la condition du mensonge qui peut faire mal à autrui, sans doute, mais c’est aussi celle de l’art de l’acteur, de la fiction littéraire et artistique. La singularité de tout un chacun implique sa distance, son retrait par rapport au dire des autres, ne pas en subir les contraintes imposées sans les évaluer. Le langage doublement articulé, elliptique et polysémique, s’y prête fort bien.<br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Avec quelques différences dues à la différence des matières d’inscription (le langage oral ne fait pas un intervalle entre tous les mots comme notre écriture alphabétique, par exemple : les blancs de celle-ci font partie du système de différences), il s’agit en gros du même système.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Ainsi les langues latines, dont on connaît assez bien la langue souche, n’en rendent pas moins leurs indigènes étrangers à ceux des autres.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Et exhaustives, tandis que tout discours en langue est structurellement elliptique.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Bien que les conventions de définition des unités les demandent, mais justement ces unités opèrent automatiquement, pour ainsi dire, les ordinateurs en sont la preuve.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> C’est plus net pour se faire publier, en article de journal ou en livre, car le problème est le même.</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-43219738645390527512008-02-18T05:50:00.000-08:002008-02-18T05:55:09.929-08:00Retrait régulateur des oscillations<div align="justify"><strong>Le retrait régulateur des oscillations entre petites répétitions et événements<br /></strong><br />65. Après ce long parcours à travers les sciences des sociétés<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, revenons à la question des retraits constitutifs des phénomènes si divers des différentes disciplines scientifiques, à fin de pouvoir ensuite approcher d’un peu plus près la si difficile question de leur <em>double bind</em>. Ce que j’ai appelé, en inspiration heideggérienne directe, retrait donateur concerne la question de la ‘venue à l’être’ de ces mécanismes autonomes vivants, la façon dont les mécanismes qui en sont à l’origine les ‘laissent être’ autonomes de façon progressive, selon la temporalité de leur taille : retirés, ces donateurs restent ‘effacés’ dans ces mécanismes, qui en sont la trace (Derrida). Tandis que le <em>retrait strict</em> - d’inspiration derridienne, lui - fait partie des mécanismes, il en retient le trop énergétique en des répétitions que l’on peut dire automatiques, car en dehors de toute interférence directe : dans le cas de la voiture, par exemple, il est impossible de mettre la main dans le cylindre où se fait l’explosion de l’essence ; le noyau atomique est inexpugnable dans les conditions terrestres de température ; les biologistes défendent comme un dogme que l’ADN ne reçoit pas d’acquisitions de l’environnement ; le système phonologique de chaque langue résiste aussi très fortement aux changements dans la longue durée, reformule la phonétique des mots étrangers empruntés ; l’interdit de l’inceste reste imprenable quant tous les ‘tabous’ sexuels semblent être tombés ; le nom même de refoulement dit comment tout ce qui l’approche est englouti avec. La liste est éloquente : il est évident que ces répétitions automatiques ne sont pas adéquates aux scènes où la loi oblige à tenir compte de l’aléatoire venu d’autres mécanismes autonomes, il faut donc qu’il y ait entre les deux un mécanisme de régulation. Il doit être capable de la spontanéité de l’autonomie et de la malléabilité rigoureuse de l’adéquation à la scène des autres, à sa loi de circulation. Dans le cas de la voiture, plus simple parce que sans auto-nutrition, cette régulation est assurée par l’appareil, tout ce qui n’est pas le moteur cylindrique d’explosion. Débrayé, celui-ci n'est que les ré­pétitions strictes du piston, sans véritable ef­fort. L'embrayage et la boîte à vitesses sont des méca­nismes d'oscilla­tion qui permettent à la machine de changer de compor­tement selon les aléas du trafic, de freiner en toute vites­se, ou l'inverse, d'accélérer vite quand la voie se dé­bloque, de gagner de l'intensité, de l'ivresse de con­duire: c'est de l'événement par rapport à la mono­to­nie d'un embou­teillage, toute faite de petites ré­pétitions. Ces mé­canismes se ré­pè­tent – comme usage - chez le conducteur de la voiture. Il a appris à régler les petites ré­péti­tions de la ma­chine et leurs oscillations, à gag­ner lui aussi des petites répéti­tions automatiques dans la condui­te, à devenir lui-même en quelque sorte une pièce de la machine, puisque ses mouvements doi­vent sui­vre les aléas du trafic quasi machinale­ment, automatique­ment, sans faire presque attention, avec la spontanéité de l'habileté, attentif à la direction à prendre, aux au­tres voi­tures, aux signaux de la route, dans une sorte d’attention flottante, en jargon psycha­nalyste, que les peti­tes répétitions rendent possible par leur automatis­me. L'at­tention est en attente d'un événement toujours possible ou bien à la re­cher­che d'une intensi­té de vites­se, dans un rallye par exemple, une poursuite en voiture dans un film d'action.<br />66. On peut donner pour le langage des exemples semblables d’oscillations entre petites répétitions et événements. Les phonèmes (ou les lettres) sont des répétitions strictes, la voix qui les prononce ayant un rôle de moteur, d’ex-pression (ou les doigts sur le clavier, d’im-pression). Mais les phrases que l’on dit impliquent des quantités de règles de morphologie et syntaxe, prépositions, conjonctions, accord de genre et nombre, flexions des verbes, que nous faisons automatiquement, sans y songer. On peut supposer que nous choisissons, très vite d’ailleurs, les noms et adjectifs, verbes et adverbes, mais ils nous arrivent à la bouche et à la main déjà enchaînés en phrases linguistiquement correctes. Pourrions-nous parler s’il nous fallait faire attention à chacune de ces règles ? Je ne peux éviter de parler ici du livre le plus extraordinaire qui soit du point de vue de la méthodologie linguistique<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a> : en 1975, pour la première fois depuis les grammaires de l’Antiquité, le livre <em>Méthodes en syntaxe</em> de Maurice Gross a présenté une analyse d'environ 3000 ver­bes français, c'est à dire une analyse assez proche de l<em>'exhaustivi­té</em> des verbes les plus fréquents, quelque chose dont aucun linguiste avant lui ne semble avoir même pas seulement rêvé (on n’avait jamais travaillé que sur quelques exemples limités). Il présente 19 tableaux où ces 3000 verbes sont classés selon leur accepta­tion de phrases complétives en position soit de sujet soit de complément<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>, chaque tableau donnant un nombre plus ou moins grand d'autres propriétés syntaxiques permettant de dis­tinguer ses verbes, dans un en­semble de 2000 classes (1,5 en moyenne) de verbes typés selon leurs propriétés syntaxiques. Eh bien, ce sont ces propriétés que chez chacun de nous sortent toutes faites, nous permettant de mener une conversation ou une discussion, avec tous ses aléatoires et surprises, au point que l’on dise parfois quelque chose qui nous surprend, lapsus qui fasse rire ou idée qui donne à penser.<br />67. Les unités sociales <em>privées</em> qui sont retirées strictement, le sont pour assurer la routine quotidienne des usages, différents selon les spécialisations, certes, mais selon des gestes (de cuisine ou d’hygiène, écrire sur du papier, poser des briques, ranger des boîtes, que sais-je ?) qui se répètent partout. Cette routine, si décriée, est toutefois ce que toute entreprise doit assurer pour avoir un minimum de productivité, puisque celle-ci serait nulle, ou plutôt fort négative, si chacun devait inventer ses gestes à chaque minute. Elle est, au contraire de ce que l’on semble souvent penser, la condition de l’habileté et de la souplesse face à tout événement, toute difficulté qu’il faille tourner ou résoudre plus ou moins rapidement : de même que sur la route, quand l’accident possible se présente, il faut dominer les petites répétitions et non point inventer des nouveautés ! Week-ends, congés, vacances, ce sont pour ceux qui travaillent des événements qui interrompent cette routine, comme pour le patron la conclusion d’une bonne affaire ou, à l’inverse, une grève de son personnel, une épidémie, une révolution.<br />68. De même pour ce qui est de la biologie. Laissons de côté la question compliquée du métabolisme cellulaire, pour envisager cet étonnant ‘milieu intérieur’ (Claude Bernard) que J.-D. Vincent (1986) expose et dont l’équilibre homéostatique est le véritable enjeu de tout organisme animal, équilibre du sang entre deux seuils : de température, des tensions artérielle et d’osmose, taux divers s’oxygène, sucre, pH, et ainsi de suite. La routine de la respiration (ses événements : rhume, toux, cigare, course) et celle de la circulation du sang (événements : repas ou jeûne, indigestion, infection, ivresse), ce sont des petites répétitions au service de l’alimentation de chaque cellule de l’organisme, dont le métabolisme est en quelque sorte en retrait strict, incessamment répétitif, de l’ensemble organique. On retrouve donc une régulation entre petites répétitions et événements qui pourra nous aider à mieux préciser, forcément de façon fort brève, ce qui est en question : <em>un équilibre instable, oscillant, car dépendant de l’aléatoire extérieur où il puise de quoi maintenir sa stabilité</em>. Le jeu hormonal semble être le principal mécanisme qui veille sur cet équilibre, soit en jouant sur des organes internes, soit en poussant à des comportements (de prédation, de fuite au prédateur, au froid ou à la chaleur, etc). Pour y arriver, il doit pouvoir être ‘présent’ quand il le faut et rester ‘absent’ quand il ne le faut pas (l’hormone qui commande la faim deux heures et demie, à peu près, avant que les cellules en aient besoin, doit être annulée par une autre de satiété dès que le repas soit suffisant, là encore bien avant que les cellules en aient bénéficié). <em>C’est cette oscillation entre présence et absence qui me semble caractéristique de cette régulation</em>, l’absence étant justement un retrait disponible pour toute éventualité, à la façon de l’attention flottante de l’automobiliste.<br />69. Cet exemple permet de passer au jeu du cerveau et de sa mystérieuse mémoire. On a, d’une part, les oscillations entre l’attention en prise sur l’événement (ou surprise par) et l’attention flottante des usages de routine, puis entre celle-ci et la relaxation de la rêverie, et encore entre celle-ci et le sommeil, et encore entre le sommeil profond ou lent et le sommeil paradoxal des rêves. D’autre part, la mémoire requise par ces oscillations. Qui sait dire ce qu’est la mémoire ? En principe, la réponse est simple et exacte : elle ne peut être autre chose que les graphes des synapses neuronales (Changeux, § 24), sous forme chimique, qui est susceptible de stabilité en contrepoint avec le flux nerveux, à électricité ionique (donc capable de chimie) qui parcourt ces graphes, graphés d’ailleurs par la répétition de ces flux. Plus difficile est-il de préciser un peu plus. Soit l’exemple de la langue : quand moi, portugais, j’écris en français, où est ma mémoire de ma langue ?<a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a> Et vice-versa, quand je parle portugais, où est-il, mon français ? La mémoire est absence. Nous savons une immensité de choses depuis que nous avons appris à parler et sommes allés à l’école : il nous est toutefois impossible de ‘savoir’ explicitement cet immense savoir, de l’exposer devant nous à la façon d’une encyclopédie personnelle, il ne vient qu’au compte-gouttes, quand l’aléatoire d’un événement attire notre attention et le fait sou-venir. Un souvenir n’est jamais qu’un fragment infime de cette mémoire qui sou/de-vient ‘présent’, l’immense mémoire restant ‘absente’, oubliée. <em>En retrait</em>. Il ne vient qu’à l’appel d’autre chose, soit même une association d’idées, selon des règles qui nous échappent presque totalement<a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>, en dehors de celles des textes, linguistiques et culturelles à la fois, auxquelles elle obéisse, semble-t-il, et qui semblent disparues des rêves.<br />70. Les unités sociales, ont-elles une mémoire ? Ce pourrait être le paradigme de Kuhn, tel qu’il l’a défini<a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>, élargi des systèmes d’usages des laboratoires scientifiques à ceux de toute unité sociale : ce qui, en les attirant<a title="" style="mso-footnote-id: ftn7" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>, <em>lie</em> les divers usagers pour accomplir les usages tels qu’on les a appris des aînés initiés, son système de recettes en somme, mémoire sociale de ce qu’il faut faire. Dès que le cerveau est requis, langage, usage, apprentissage, unité sociale, la mémoire en fait partie : absence qui devient présente de façon fragmentaire par ses effets dans la scène en question, <em>retrait régulateur</em> qui rend les répétitions susceptibles d’adéquation à l’aléatoire des événements, de même que, <em>mutatis mutandis</em>, le jeu des hormones pour réguler l’équilibre homéostatique du sang. <em>On ne peut plus opposer la structure et l’événement, la répétition et le singulier, la langue et la parole</em>, <em>la société (l’espèce, l’institution) et l’individu</em> et ainsi de suite : aucun de ces termes n’est qu’une forme d’oscillation entropique avec l’autre de son couple.<br /><br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Bien plus complexes que les autres : elles contiennent les phénomènes de toutes les autres disciplines, sans que les leurs soient des mécanismes autonomes semblables, mais plutôt des structures liant des mécanismes, c’est peut-être pourquoi elles sont moins avancées, du point de vue phénoménologique ici proposé.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> La méthode suppose, bien sûr, la linguistique générale de Saussure (1916, 1972), Benveniste (1966) la double articulation (Martinet, 1967), très importante pour le phénoménologue.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Un exemple au hasard de la p. 65. Des tests rendront compte du fonc­tionnement de tel verbe avec des complétives à l'indicatif (pour 'savoir': "Paul sait que Marie viendra", mais non point "Paul sait que Marie vienne") et de tel autre avec des complétives au subjonctif (pour 'vouloir': "Paul veut que Marie vienne", mais non point "Paul veut que Marie vien­dra").<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> « Dans les fautes », répond Wally Bourdet qui les a corrigés.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> La psychanalyse a fait jouer de façon fort astucieuse l’association d’idées pour en trouver quelques unes. Ces règles sont-elles des petites répétitions ? Comme les petits vieux qui se répètent, ou nous-mêmes, quand quelque chose nous préoccupe très fort et devenons incapables de penser à autre chose ?<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> La Physique d’Aristote, l’Almageste de Ptolomée, les Prin­cipia et l’Optique de Newton, l’Électricité de Franklin, la Chimie de Lavoisier e la Géologie de Lyell, ce sont des performances qui, écrit-il, “ont longtemps servi à définir implicitement les problèmes et les mé­thodes légitimes d’un domaine de recherche pour des générations successives de chercheurs. S’ils pouvaient jouer ce rôle, c’est qu’ils avaient en commun deux caractéristiques essentielles: leurs ac­complissements étaient suffisamment remarquables pour atti­rer [je soul.] un groupe cohérents d’adeptes à d’autres formes d’activité scientifique concurrentes; d’autre part, ils ouvraient des perspec­tives suffisamment vastes pour fournir à ce nouveau groupe de chercheurs toutes sortes de problèmes à résoudre [je soul.]. Les perfor­mances qui ont en commun ces deux caractéristiques, continue Kuhn, je les appellerai désormais paradigmes » (pp. 30-31). L’héritage, la transmission entre générations (et donc l’apprentissage), y est essentiel.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn7" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> Par vocation au métier, d’une part, par le salaire nécessaire pour la nourriture, d’autre part (pour beaucoup, hélas !, celui-ci étant le seul qui compte).</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-22452319293073287712008-02-18T05:49:00.000-08:002008-02-18T05:50:38.037-08:00L'entropie de Prigogine<div align="justify"><strong>L’entropie de Prigogine<br /></strong><br />71. Ces phénomènes des oscillations imposent à la phénoménologie de prendre en compte leur dimension énergétique, ce dont les philosophies<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a> ni les sciences des phénomènes sociaux et humains n’ont guère l’habitude. Et c’est où la réélaboration du concept thermodynamique d’entropie par Prigogine devient précieuse. Il s’agit pour ce chimiste (Prix Nobel en 1977) de comprendre la possibilité physique de la stabilité d’instances instables qu’il a appelées « structures dissipatives », le métabolisme cellulaire ayant été le domaine de ses recherches. Dans ces phé­nomènes biochimiques qui reçoivent de l’énergie de l’extérieur, prédominent des réactions chimiques non linéaires d'autocatalyse, auto-inhibition et catalyse croisée dans un ensemble de "milliers de réactions chimi­ques simultanées, qui transforment la matière dont la cellu­le se nourrit, synthétisent leurs constituants et jettent vers l'ex­térieur les produits non utilisables". Ces phénomènes ne peu­vent pas être étudiés au seul niveau moléculaire de la chimie établie, il faut considérer l'organisation super moléculaire : les fluctuations qui, au lieu de régresser vers l'état d'équili­bre (selon le 2nd principe de la thermodyna­mique), s'amplifient et envahissent tout le système, qui évolue vers un stade ins­table, loin de l'équilibre, où ces fluctuations restent pourtant structurées de façon dissipative. En contradiction avec le principe d'ordre de la Thermodyna­mique statistique de Bolt­­z­mann, la dis­sipation entropique produit un nouvel ordre, qui n'est intelligible qu'au niveau macroscopique de la cellule et reste indépendant des phénomènes moléculaires microscopiques. Il s'agit donc d'une <em>production d'entropie</em> qui crée de l'ordre instable, ou de la stabilité loin de l'équilibre, loin de l'en­tropie nulle de la stabilité traditionnelle en physique.<br />72. Si l’on généralise vers la dimension énergétique (entropique) de la scène de circulation d’ ‘agents autonomes’, on peut penser que chaque fois que, historiquement, cette scène se sera trouvée en état de pléthore chaotique, de tourbillon, sans solutions à son niveau, elle en a trouvé (Événement, Ereignis) à travers la constitution d’une autre scène (et donc d’un nouveau tour dans ses mécanismes entropico-formelles d’autonomie à hétéronomie effacée) ; cette nouvelle (sous) scène est instable par rapport à celle d’où elle se déploie, mais douée d’une nouvelle loi et de nouvelles règles, qui lui assurent une circulation stable. Ainsi, le métabolisme cellulaire est d’un autre niveau que celui des molécules inorganiques des champs de la gravitation, et les diverses acquisitions structurelles majeures de l’évolution des vivants - dont la sexualité, l’homéostasie du sang et les réseaux synaptiques des neurones sont parmi les exemples les plus extraordinaires - pourront être éventuellement étudiées comme des nouvelles (sous) scènes dans la scène générale de la jungle. Elles ont été prolongées par l’acquisition de l’utilisation de la main et de la bouche pour les usages techniques et la parole chez les humains (Leroi-Gourhan), et ensuite par les divers niveaux sociaux (agriculture, ville, marché, organisation politique monarchique ou démocratie en Grèce, école, église, et ainsi de suite jusqu’à la révolution industrielle), qui pourront toutes être étudiées comme des productions de nouvelles entropies<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. Ou des sublimations, en langage freudien. Le motif derridien du <em>supplément</em> permettra de penser, avec l’apport prigoginien, la façon dont les (sous) scènes se déploient les unes à partir des autres.<br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Derrida, avec ses différe/ances de forces, semble être parmi les exceptions.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> En général, l’entropie sera l’énergie retenue de façon stricte par des forces attractives. </div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-63985022141893463882008-02-18T05:45:00.000-08:002008-02-18T05:49:02.439-08:00Question neurologique<div align="justify"><strong>La difficile question neurologique : cerveau, usages et discours, sans ledit ‘mental’<br /></strong><br />73. Venons-en à la très difficile question de l’approche scientifique du cerveau, organe autant du corps que du psychisme humain ; très difficile en ceci qu’elle rencontre la racine du dualisme philosophique greco-européen entre le corps et l’âme (<em>psychê</em>, en grec), dont les neurologistes ont raison de se méfier. Hélas !, à leur insu, ils y sont pris, eux aussi, par le biais de la représentation mentale. La question est celle du statut du cerveau : organe corporel, sans doute, inventé depuis très longtemps, sous formes embryonnaires, par l’évolution biologique, mais, sans doute aussi, organe de la pensée. Mais ce deuxième ‘sans doute’ mérite nuance : ce que nous appelons ‘pensée’, dans la mesure où elle n’est pas dissociable du langage doublement articulé<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, est tard venue comme fonction du cerveau des anthropoïdes qui ont inventé les premiers outils et les premiers mots. Ceci oblige donc à ne pas niveler les deux faces du cerveau et, par exemple majeur, à exclure d’emblée toute incidence des gènes des neurones sur ce qui relève dudit psychisme.<br />74. Quelle est la spécificité des neurones parmi les autres deux centaines des cellules spécialisées des vertébrés ? En écrivant au § 31 que l’efficacité des gènes et du ribotype barbiérien était limitée au métabolisme cellulaire, on a laissé entendre que les cellules sont des sortes de petites îles qui se groupent en tissus et ceux-ci en organes. C’est vrai, mais justement les neurones en sont l’exception : leur spécialité est de créer avec leurs synapses qui les lient les uns aux autres un ‘réseau nerveux’ serré d’affectation mutuelle, qui permet à l’ensemble d’être, à travers d’organes perceptifs, affecté du dehors et de s’auto affecter. Pas de façon anarchique, bien entendu, mais selon des<em> graphes</em> (Changeux), dont sans doute beaucoup d’innés, créés très tôt, mais d’autres, par contre, inscrits (graphés !) par l’apprentissage des usages et de la parole. Ceux-ci s’ajoutent donc aux fonctions du cerveau, articulant un vieux cerveau ‘reptile’<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a> au nouveau cortex des oiseaux et mammifères, où justement la part belle est réservée aux graphes de l’apprentissage de la façon d’habiter en humain.<br />75. Les spécialistes du sommeil et du rêve ont montré comment il y a chez nous deux formes de sommeil, l’un lent d’environ une heure et demie qui est interrompu, avant de reprendre pour une nouvelle heure et demie, par un sommeil agité d’une vingtaine de minutes que M. Jouvet appelle paradoxal. Ce serait dans ces périodes plus brèves que nous rêvons, mais Jouvet ne peut pas le savoir par les instruments et méthodes qui lui ont permis de discerner les différents sommeils, il lui faut réveiller ses patients et leur demander : ‘rêviez-vous ? à quoi ?’. Sans qu’il semble se rendre compte, il signale ainsi une dichotomie entre deux approches du psychisme, l’une proprement neurologique, à base d’analyses chimiques et d’instruments électriques, et l’autre, qu’il faudrait qualifier de ‘discursive’, qui se fait par le dialogue avec le patient (propre de la psychanalyse et des autres psychologies). Ce n’est pas surprenant que son livre se termine sur l’insatisfaction concernant l’étude neurologique des rêves<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>. Il serait toutefois d’accord, je suppose, pour refuser la prétention de rendre compte, avec ses moyens de neurologie, des règles linguistiques des diverses langues : celles-ci toutefois se jouent essentiellement dans les cerveaux humains, à l’instar des rêves. Il faut donc dire qu’il y a <em>un dualisme méthodologique irréductible</em> entre les deux approches du cerveau et du psychisme (§ 107).<br />76. Il ne s’agit pourtant pas de céder au dualisme<a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>, au contraire. Demandons l’aide des ingénieurs des ordinateurs : cette irréductibilité d’approche instrumentale du matériel (hardware) et du logiciel (software) se retrouve aussi chez eux. Avec les moyens de réparation du matériel, ils ne peuvent pas savoir quel programme est en train de se jouer, en quel langage, il leur faut demander à l’opérateur, qui se trouve du côté du logiciel. De même, on ne peut pas, toujours avec les instruments électriques adéquats (sans les membranes acoustiques des téléphones), savoir ce que l’on dit au téléphone par l’analyse du respectif courant électrique, ni repérer les acteurs d’un film de télévision dans le courant reçu par l’antenne. Chez les graphes du cerveau, qui sont des sortes de câbles électriques à courant ionique<a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>, le problème est identique. Il n’y a en eux ni des mots, ni des musiques, ni des nombres (ils sont dans les ouïes et la voix), ni des images mentales (même pas dans les yeux), pas plus que dans le matériel des ordinateurs, où il n’y a que de l’électricité qui passe (à électrons, donc sans affecter chimiquement les câbles) : les mots et les problèmes sont à l’entrée (par les claviers, bandes magnétiques, cartes perforées), et à la sortie, sur les écrans et les imprimantes. Il n’y a pas, dans le cerveau, de représentations mentales, d’idées, ni des images souvenir de quelqu’un. Ce n’est pas facile à accepter, sans doute, mais on perd son temps à les chercher. Le ‘mental’ est, tout comme l’idée inventée par Descartes et l’âme de Platon, une fiction, le rêve de quitter la matérialité, soit du corps, soit des lettres. Le phénoménologue pose donc, comme thèse philosophique, que ces deux mots, ‘cerveau’ et ‘psychisme’, nomment à la fois la même réalité ontique et le vieux conflit entre ses deux approches possibles, celle de la neurologie et de son analyse du ‘corps’ et celle de l’expérience de l’auto affection et du dialogue. Le ‘mental’ sépare et oppose ‘sujet’ à l’intérieur et ‘objet’ représenté à l’extérieur. Si je vois un objet jamais vu, qui est donc vraiment à l’extérieur, je ne le connais pas ; je ne connais que ceux qui sont déjà inscrits en moi ; ce qu’on appelle l’intérieur, n’est que l’extérieur - le ‘monde’ - graphé dans mon cerveau, moyennant quoi je suis ‘être au monde’, le <em>Dasein</em> de Heidegger, tout extérieur<a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>. Mon intériorité – qui est l’une des choses à laquelle je tiens le plus, mes secrets - n’est que ma façon d’être en retrait par rapport à autrui, comme je l’ai suggéré (§ 63) : même quand je pense ‘mentalement’, comme on dit, je suis ‘à l’extérieur’, auprès de ce à quoi je pense (des personnages d’un texte biblique que je lis, par exemple).<br />77. Bref, les neurones ont été faits, en rapport avec les hormones régulatrices de l’homéostasie du sang (système d’alimentation), pour la motilité, le cerveau liant les organes perceptifs aux muscles des membres de locomotion. Le néo-cortex des oiseaux et mammifères s’est spécialisé en les stratégies de prédation, de lutte et de fuite, c’est cela pour eux ‘penser’, selon ce qu’ils ont appris et expérimenté. Le langage et les autres usages ont été inventés socialement pour l’apprentissage : ils viennent s’inscrire du dehors dans des graphes spécifiques du cerveau dans les mêmes régions cérébrales de la pensée mammifère. C’est dire que le cerveau humain est à la fois un organe biologique et social. On demandera : comment comprendre, dans cette perspective, le cogito, ‘moi, je pense’ ? ‘Je’ appartient aux graphes, a été graphé avec les apprentissages, en fait essentiellement partie, les graphes ne parlent ni ne pensent sans son jeu de guide, disons et, en même temps, ce jeu auto-affecte le ‘je’, comme on dit <em>con</em>-science : ‘je’ sais de ‘moi’, de ce que je dis et fais <em>quand</em> je dis et je fais, en tant que condition de le dire et de le faire. Le ‘moi, je’ est renforcé tout au long de sa vie, de ses usages et événements. C’est à l’envers de tout ce qu’on a appris en Occident, de toute notre philosophie et littérature, c’est pourquoi c’est si difficile. Je n’est pas un autre, il est la trace de beaucoup d’autres. <em>C’est l’énigme majeure</em>.<br />78. C’est toutefois cette conception - philosophie avec sciences – qui, me semble-t-il, devrait être féconde en neurologie. Comment faire donc ? Ce n’est pas au phénoménologue de le dire, mais l’une des possibilités serait de chercher l’aide des linguistes, par exemple, comme font les ingénieurs du logiciel, de préférence ceux de chez Gross (§ 65), disparu précocement, hélas ! J’ai dit que l’aire de Broca que les neurologistes ont découverte, semble être celle où l’ont fait les associations syntaxiques automatiques pour parler ou penser (§§ 27 et 65), de même que l’aire de Wernicke semble être celle où l’on ‘choisit’ ses mots. Empruntons une dernière fois l’exemple du logiciel. Comment fait-on pour qu’un ordinateur soit capable de ‘jouer’ aux échecs ? On ne lui apprend pas des raisonnements, mais les règles du jeu, tant celles que définissent les diverses pièces que celles des stratégies des champions. C’est-à-dire, on lui apprend un ‘langage’. C’est probablement ce qu’il faudrait chercher dans les graphes : comment nos langues y sont graphées<a title="" style="mso-footnote-id: ftn7" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>.<br /><br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> C’est facilement admis aujourd’hui par les neurologistes, voire par de nombreux philosophes, sans que l’on comprenne toujours qu’il faudrait en conséquence congédier la représentation mentale.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Qui est notre glande endocrine la plus importante, sécrétant notamment les hormones qui veillent sur l’équilibre homéostatique du sang.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Puisque, pour des raisons de brièveté, je ne m’occupe pas ici de la psychanalyse, qui fait partie pourtant des cinq domaines dans le texte de référence (le chapitre qui lui est consacré tâche d’éclairer son statut scientifique spécial), je signale quand même comment est remarquable la différence entre deux ou trois petites choses qu’il recueille de 2500 rêves et les interprétations des rêves de l’admirable livre de Freud de 1900. De celui-ci on peut parler de ‘science des rêves’, ou, plus rigoureusement, d’une sémiotique expérimentale du discours névrotique dans son rapport à l’énergétique sexuelle des humains. Cette sémiotique se fait sur le discours du patient en train de se livrer dans ses associations libres, parfois proches du délire, autour du ‘moi. Ce sont les résistances que ce moi manifeste à dire, en bégayant, en s’auto censurant, en déniant, en riant ou en pleurant, en somme, en se surprenant soi-même, qui permet à l’analyste de repérer un ‘surmoi’, relevant de la loi sociale et qui s’oppose au pulsionnel sexuel (aveu de rapports ‘immoraux’ à la mère et au père, dans l’interprétation des rêves, par exemple) que Freud a appelé ‘ça’. Science sui generis, elle traverse (et les révèle articulés entre eux) le langage, le social avec son interdit de l’inceste et la sexualité (biologie), c’est à dire les trois domaines principaux des sciences concernant les humains.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Disons quand même que cette irréductibilité rend honneur à Platon et à Descartes, dont ce texte est fort éloigné.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> Donc susceptible de changement chimique dans les synapses et de les grapher.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> Ceci a été proposé en 1927 : il me semble que ce n’est pas encore passé dans les mœurs, même pas des philosophes, même pas de beaucoup de spécialistes de Heidegger, car ce n’est vraiment pas commode à penser. Peut-être qu’il n’y eut jamais de décalage aussi fort entre une ‘vérité de pensée’ et notre expérience commune, sauf peut-être celle de l’héliocentrisme, l’inverse de ce que nos yeux voient.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn7" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> La comparaison entre cerveau et ordinateur chez les ingénieurs de l’I. A. gagnerait à tenir compte des deux différentes façons qu’ont les ordinateurs de jouer avec les nombres (susceptibles de langage binaire, correspondant au passage ou interruption de courant : on peut calculer avec) et avec les mots (dont la polysémie n’est pas discernable directement mais par des jeux de différences avec des mots ailleurs) : on ne peut que transposer des lettres et des séquences de lettres, toute opération de pensée devant être inscrite par des linguistes. </div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-35489178099426935212008-02-18T05:35:00.000-08:002008-02-18T05:45:34.633-08:00Les scènes scientifiques<div align="justify"><strong>Les scènes scientifiques à <em>double bind</em> : de l’indétermination à l’énigme<br /></strong><br />79. Chaque (sous) scène a sa <em>population d’assemblages</em>, dont chacun est composé d’unités doublement liées, en dépendance de deux lois inconciliables qui font toutefois de l’ensemble une unité indissociable. Il s’agit maintenant de suivre les (sous) scènes des principaux domaines (à la ressemblance partielle d’une voiture) – respectivement des graves / des mammifères / de la parole / de l’habitation sociale (limitée, dans ce court texte, aux sociétés dites primitives) - en décrivant, de façon simplifiée, télégraphique, cette composition en double lien ou <em>bind</em> qui est la garantie de la constitution et de l’autonomie relative de circulation de chaque assemblage, dans une scène dont la loi générale de circulation est inconciliable avec cette autonomie, tout en étant la ‘même’, l’hétéronomie donnée, indissociable donc.<br />80. En voici le dessin. Toute <em>scène</em> suppose<br />a) qu’une <em>pléthore chaotique</em> d’éléments (explosion d’essence) - respectivement protons, neutrons et électrons / molécules à carbone/ cris / gestes d’anarchie incestueuse –<br />b) subisse les effets de <em>forces inhibitrices</em> concernant certains de ces éléments qui restent en <em>retrait strict</em> (le cylindre du moteur) – respectivement forces nucléaires des atomes / inhibition de l’ADN dans le noyau des cellules et dressage des pulsions hormonales / système phonologique / interdit sexuel impliqué par le paradigme des usages –, en rapport avec l’énergie motrice de l’autonomie de l’assemblage ;<br />c) suppose ensuite que les autres unités de l’assemblage soient disposées de façon à être en mesure de répondre de la <em>loi de la scène</em> (loi du trafic) – respectivement loi de gravité / de la jungle (nutrition et motilité) / de la vérité / de la guerre<br />d) par un système en <em>retrait régulateur</em> (embrayage et boîte à vitesses) - respectivement champ gravifique / homéostasie du sang et mémoire cérébrale / langue et sens commun / paradigme de l’unité sociale - susceptible d’oscillations entre des petites répétitions et des événements d’avec autres assemblages de la scène,<br />e) ces événements reproduisent l’assemblage<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, avec <em>retrait de la donation</em>, soit de l’ensemble doublement lié qui constitue l’assemblage, soit d’éléments qui les nourrissent et altèrent, ce retrait – la<em> trace</em> des donateurs – rend possible l’autonomie de l’assemblage dans la scène. S’ensuit (jusqu’au § 85) une rapide comparaison de quatre (sous) scènes scientifiques.<br />81. Les atomes des graves sont liés d’une part aux forces nucléaires et de l’autre à celles de la gravitation. Les premières rendent chaque atome impénétrable à tout autre atome<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>, elles sont le fondement de l’altérité irréductible des choses de ce monde ; c’est la vérité de tous les empirismes : rien n’est identique à rien. C’est la trace vivante (Derrida) qui a dépassé cette irréductibilité, en créant des paliers inédits de <em>mêmeté</em> : d’espèces biologiques / de langues / d’us et coutumes. Ce qui marque une différence importante entre ces scènes de vivants et celle de la <strong>Physique-Chimie</strong> : peut-on au niveau de celle-ci, où il n’y a pas de trace, parler de retrait donateur et d’autonomie avec hétéronomie effacée ? Seulement en un certain sens. L’autonomie consiste dans l’<em>inertie</em> des graves, garantie par les forces nucléaires (retrait strict): <em>résistance</em> d’une part à la désagrégation (sauf pression et température très élevées), <em>offre</em> d’autre part aux forces de gravitation et aux transformations chimiques (forces électromagnétiques intra et extra moléculaires : retrait régulateur quantique des électrons de valence). La stabilité fort improbable du système du soleil et ses planètes, qui les fait échapper individuellement à l’expansion de l’univers, nous donne un bon exemple (pas n’importe lequel, car fondateur de la Physique) : le retrait donateur serait celui du champ lui-même des forces de gravitation de chacun des astres, qui n’existe que par les (autres) astres qui le composent et sans lequel ceux-ci dériveraient vers les espaces selon leur inertie (autonome). C’est-à-dire que chacun des astres est donné<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a> par les <em>autres</em> astres, dans leur système, chacun est doublement lié : par sa force gravifique qui rassemble tous ses composants (c’est cela ‘un’ astre) et par celle du système (l’ensemble de tous) qui le lie, le retient, le prend dans la stabilité de son orbite elliptique.<br />82. Sautons à la scène de la <strong>Biologie</strong> des mammifères, par-dessus celle des unicellulaires et des étapes majeures de l’évolution. Il s’agit, on l’a vu, d’un double système, nutritionnel et neuronal, visant la reproduction de l’individu, et d’un troisième, le sexuel, supplémentaire, visant la reproduction de l’espèce. Les <em>doubles binds</em> se multiplient : 1) celui de chaque cellule d’abord dans sa double membrane<a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>, qui a demandé trois milliards d’années à l’évolution, contre 600 millions pour celle de tous les organismes ; 2) celui, majeur, lien de chaque cellule en elle-même <em>et</em> lien au système de circulation du sang qui la nourrit ; 3) celui de ce système nutritionnel, avec ses hormones assurant l’<em>homéostasie</em>, et les graphes neuronales de la mobilité, 4) à son tour dédoublé, lui aussi, chez les espèces plus complexes entre deux cortex, le ‘paléo’ et le ‘néo’. Si l’on songe que, théoriquement, tout mammifère est menacé d’une sorte de chaos interne (les liens se déliant, tous ses tissus devenant des cancers), il faudra sans doute, en plus de l’inhibition cellulaire de l’ADN dans son noyau (réserve de la production de protéines), un supplément d’inhibition visant les gènes spécialisés des cellules des autres tissus (qui sont couverts) et ceux du développement embryonnaire qui assurent la bonne taille des organes. C’est-à-dire, un supplément d’inhibition qui garde les cellules en retrait strict spécialisé pour la reproduction saine de l’ensemble. En ce qui concerne le <em>double bind</em> du nutritionnel et du neuronal, la question se pose du rapport entre les hormones, par exemple celles de la faim, et les graphes de l’apprentissage : il suffit de songer à la situation d’un chat fou de faim devant un prédateur qu’il aurait voulu manger, s’il pouvait, pour comprendre qu’il lui faut retenir en retrait ses hormones de la faim le temps de sa fuite et de sa mise en sécurité, de reprise de son aise pour revenir à la chasse : c’est dire que, poussés par les hormones, les graphes du néo-cortex apprennent à les dresser pour l’efficacité des stratégies de l’espèce : ils sont en retrait régulateur (mémoire) devant sa situation écologique (loi de la jungle), elles en retrait strict, pouvant aller à la folie s’il n’y a pas d’issue à ses poussées nutritionnelles (ou sexuelles). La sexualité, d’autre part, est du côté du retrait donateur des géniteurs, chez qui elle joue un rôle qui peut se faire au dépens de leur autoreproduction (c’est pourquoi il faut que la copule soit gratifiante) : la femelle notamment doit donner à son tour, dans <em>une sorte d’éthique biologique</em>, doit devenir donatrice de ce qui lui a été donné autrefois et s’en retirer, selon les rythmes de la grossesse et de l’allaitement, n’y laissant que sa trace, le programme génétique de l’espèce avec ses marques singularisantes et l’apprentissage des petits.<br />83. Dans la scène des <strong>Linguistiques</strong><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>, il suffit maintenant de souligner que le système phonologique en retrait strict pour la formation des mots est ce qui rend les langues étrangères les unes aux autres, les syntaxes-sémantiques de la langue (retrait régulateur) plus ou moins proches rendant possible de traduire<a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>, autant que les phonologies et les singularités des usages, et donc des codes textuels, le permettent. Dans la <em>scène de la vérité</em> que toute langue instaure, c’est celle-ci et le sens commun culturel qui, en retrait régulateur<a title="" style="mso-footnote-id: ftn7" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>, assurent l’entente courante entre les parleurs. La contribution de Flahault (§ 63) permet de comprendre ce qui pose question : la vérité de ce qui est dit, et déjà dans le processus de l’apprentissage (qui, en ce qui concerne le ‘savoir’, n’est jamais fini) n’est jamais garantie à celui qui écoute, sans que souvent il ait des moyens autres de s’en assurer, comme fait foi l’éventail des verbes concernant le doute et la certitude. C’est la raison pour laquelle l’enjeu de la scène est la vérité, instaurée par le langage : elle concerne autant l’entente avec les autres que le rapport à ce qui est dit; mais l’autonomie de parole de tout un chacun rend possible l’erreur, le mensonge (qui doit sembler ‘vrai’), la fiction, ce qui souligne comment cette autonomie, indissociable de la loi du sens commun, est à la rigueur inconciliable avec elle. On s’en rend compte quand il y a proposition de nouveautés et choc avec les orthodoxies. Ou bien quand l’autonomie s’exaspère et devient délire d’un fou. La poésie est le discours qui joue à fond sur ce <em>double bind</em>, de la façon énigmatique qui a fait les romantiques parler d’‘inspiration’, joue sur la double articulation du langage, sur la loi du signifiant (jeu sonore entre les mots, rythme) et celle du sens des phrases. La logique, à l’extrême opposé, s’en est tellement méfiée, de la polysémie, desdites ambiguïtés des langues, qu’elle a fini par emprunter une écriture de type mathématique, à une seule articulation : exacte donc, mais en dehors des langues. D’autre part, on est lié, par la langue commune, à tous les autres (sauf émigration, bien entendu). Ici aussi, l’importance cruciale de l’apprentissage et donc du rôle social des ‘maîtres’ (en retrait donateur) implique une <em>éthique élémentaire</em> de donner aux jeunes (et de façon générale, à qui ignore et demande) ce que l’on a reçu soi-même d’autrui.<br />84. Faisons une pause pour souligner à nouveau l’impossibilité d’étendre aux scènes terrestres le <em>déterminisme</em> dont les scientifiques ont hérité des philosophes et théologiens. Ce qui a été suggéré de l’inertie comme une sorte de degré zéro de l’autonomie, montre que les graves, en tant que livrés à la scène de la gravitation et des transformations chimiques, sont indéterminés quant à ce qui peut leur arriver, du fait des aléatoires de la scène (même les rocs devant l’érosion, pour ne pas parler des tempêtes, des séismes). De façon tout à fait générale, ils ne sont pas susceptibles de prévision scientifique, qui n’est que laboratoriale. Les degrés d’autonomie des vivants – des mécanismes réglés pour l’aléatoire des scènes - dans l’échelle des espèces augmentent cette indétermination, dont la complexité des cerveaux respectifs semble être un bon indice de mesure : le néo-cortex des oiseaux et mammifères les place en haut de l’échelle des performances éthologiques. Il y a sans doute un saut assez grand quand on passe aux humains, avec l’invention de la parole, des usages techniques et des usages religieux mettant en relief le rôle des ancêtres morts. L’indétermination devient bien plus forte, les traditions ayant réservé le terme de <em>liberté</em> pour la dire. Ces traditions ont ainsi « opposé » les humains et les animaux : c’est où réside le dualisme que nous avons rejeté à plusieurs reprises. La question n’est pas de revenir en arrière et de nier la liberté humaine, mais de ne pas ‘opposer’ tous les humains et tous les animaux. Des exemples tout simples. Un humain est bien plus proche d’un lion ou d’une hirondelle que ceux-ci d’une fourmi, ce que ces animaux ont de trop sur la fourmi est condition nécessaire (pas suffisante) des humains. Ou, à la façon de Deleuze : côté affects, un cheval de guerre est bien plus proche d’un taureau que d’un cheval de tir, qui, lui, est proche de l’âne qui tourne à la noria. Il ne faut pas comparer que des ‘essences’, au-delà des espèces zoologiques, les différences parmi les vivants sont immenses. Ceci vaut tout aussi bien des différentes complexités des sociétés humaines. Ce que nous appelons ‘liberté’ en Occident, que nous réclamons depuis les Lumières, était inaccessible aux indigènes des sociétés tribales, qui en avait une autre, communautaire, ou de la (Modernité dite) Antiquité. De même, l’école moderne crée beaucoup de différences culturelles qui rendent bien plus libres que les autres (autrement que par l’effet de la richesse en argent) ceux qui ont réussi leurs études. Dans l’échelle de l’évolution biologique et historique, il y a indéniablement croissance de l’indétermination et de la liberté. Toutefois, la différence que la parole et les us et coutumes ont introduite comme liberté permet que l’on puisse parler de celle-ci en termes d’<em>énigme</em>, dans la mesure où la convergence des diverses indéterminations, des différents doubles binds - celle du mammifère, celle de la parole et celle des autres usages - la multiplie de beaucoup, rend fort énigmatique tout autre qui soit devant moi, quelles que soient nos différences culturelles. Il est structurellement inédit, son visage<a title="" style="mso-footnote-id: ftn8" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a> relève de l’énigme qu’il est ontologiquement, trace de beaucoup de donations, sa voix est toujours à écouter, je puis toujours apprendre avec lui, car il sait toujours beaucoup trop de choses que je ne sais pas. Par exemple, tout indigène africain peut se débrouiller dans des lieux dépourvus d’électricité infiniment mieux que moi. Les catastrophes écologiques qui semblent s’annoncer seront bien plus préjudiciables aux civilisés électro-dépendants qu’aux autres. Il y eut autrefois un enjeu semblable entre Romains et Barbares, nos ancêtres à nous, Européens. Si l’histoire se répète, cette fois-ci (ce n’est pas demain la veille, quand même) ce serait aux dépens des descendants des ‘vainqueurs’ d’autrefois (et héritiers des ‘vaincus’).<br />85. Soit enfin, la scène de l’<strong>Anthropologie</strong>. Le chaos est la foule, comme on en voit, hélas ! chaque fois qu’il y a des multitudes de réfugiés fuyant des zones en guerre, voire les banlieues cancer des métropoles dudit Tiers Monde. Pour l’éviter, les sociétés s’organisent en unités locales privées, en retrait strict de la foule, soit en accueillant ceux qui y naissent ou s’y marient, soit, dans les institutions modernes, en y attirant des agents par leurs paradigmes et salaires : dans tous les cas, ce sont les paradigmes (en retrait régulateur) qui règlent les usages de façon à assurer la nutrition de tout un chacun par des usages hérités. Ces unités sociales sont liées entre elles par des liens globaux, que le système de la parenté et son échange des femmes garantit, par le biais des règles politiques et religieuses (en retrait régulateur tout aussi bien, rapportées d’ailleurs aux paradigmes locaux: absentes d’habitude, ces règles ont des effets quand il en faut) héritées des ancêtres (qui sont, eux, en retrait donateur). Le jeu mutuel des envies qui opposent les différentes unités sociales et la solidarité en cas de guerre ou autre relèvent des deux lois inconciliables et indissociables, du <em>double bind</em> qu’est une société. De même qu’il intègre les <em>doubles binds</em> des scènes biologique et de la parole, seront créés d’autres doubles liens au fur et à mesure de la plus grande complexité historique, dont le régime monarchique, et puis républicain, de l’instance politique, personnalisée dans la maison d’un guerrier ou en collectifs démocratiques (ou pas), le marché et la monnaie, l’école, l’église, la machine, les institutions modernes et les familles ‘en appartements’, les médias, s’agissant en tous ces cas de structures ou mécanismes en <em>double bind</em>.<br /> 86. Un mot pour reprendre deux allusions à la question éthique (§§ 80 et 81). Le retrait donateur est structural et des espèces sexuées et des sociétés humaines: il faut se laisser désapproprier des règles permanentes de l’autoreproduction pour donner de l’autonomie à d’autres, en s’effaçant, tout comme on les a reçues de ses ancêtres. Cette autonomie contemple d’abord la nutrition comme impératif social biologique : <em>aucune société ne peut laisser livrer à la faim aucun des siens, c’est un impératif social préalable à toute ordination juridique</em>. Ensuite les sociétés hétérarciques, qui ont exclu toute possibilité de survie autarcique, doivent, par le même type d’impératifs aussi préalables au juridique, d’ordre social élémentaire maintenant, donner à chacun des capacités d’usage adéquates, moyennant école, et intégration dans une institution (un emploi), ou une indemnité de chômage en cas de crise. Cette éthique structurelle, ontologique, peut aussi se réclamer des prophètes de la bible hébraïque et des apôtres de la bible chrétienne : leur leçon éthique (« qu’il n’y ait pas de pauvre chez toi », « tu aimeras ton voisin, ton prochain, comme toi-même ») relève justement de l’impératif de donner de ce qui chez nous a été aussi don (ancestral ici, divin chez eux). Et s’effacer, s’en retirer, pour qu’autonomie soit<a title="" style="mso-footnote-id: ftn9" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>. Enfin, en plus de « les envies ne doivent s’accomplir que selon les usages » (§ 42), il y aura <em>une éthique élémentaire des métiers</em> en société hétérarcique : puisque nous recevons de la compétence et de l’habileté d’autrui la quasi totalité des choses dont nous avons besoin pour notre habitation et qu’il nous faut une énorme confiance (Fidalgo) dans ces anonymes qui ‘échangent’ ces choses avec les nôtres, de même devons-nous faire de notre mieux ce que nous faisons et qui ira à d’autres anonymes.<br /><br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Sans analogie dans la machine.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Dans les conditions de température de notre univers terrestre, ce que l’on pourrait appeler peut-être l’ ‘homéostasie’ du système planétaire.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Hétéronomie donatrice effacée : elle a tellement surpris Newton ! Il y a toujours de quoi nous surprendre, si l’on sait dépasser nos habitudes scolaires. D’abord le système planétaire, ensuite tout le terrestre est plein d’aléatoire ! Effrayant pour la logique classique, pour le bon vieux déterminisme scientiste.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> L’apport de Marcello Barbieri permet de dépasser le ‘dogme’ (Crick) du déterminisme par l’ADN : on ne peut en effet comprendre la cellule à partir de l’ADN et de sa détermination, mais, à l’inverse, l’ADN n’est compréhensible que comme une partie de la cellule.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> La grammaire générative ne me semble pas susceptible de ce type d’analyse phénoménologique.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> Sauf pour le chinois et ses mots monosyllabiques, semble-t-il. Dans tous les autres cas, c’est au fond la grammaire à racine aristotélicienne qui a été adaptée aux traductions et à l’élaboration des grammaires de chaque langue inconnue.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn7" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> La langue n’est jamais entièrement dans une parole, dans un texte. Ce que les linguistes appellent paradigme se joue ‘in absentia’ (Saussure), en retrait. Par exemple, si je dis une phrase avec le mot ‘petit’, il faut savoir qu’il fait paradigme avec ‘grand’, ‘moyen’, ‘dimension’, ‘petite’, avec des mots qui ne sont pas dans la phrase mais qui sont essentiels pour son sens.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn8" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a> Motif mis en haut relief philosophique par Levinas, autrement que dans cette ontologie inspirée de Heidegger et de Derrida.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn9" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> À l’inverse de la « substitution » et de « l’otage » de Levinas, me semble-t-il. Les citations bibliques sont respectivement du Deutéronome 15,4, du Lévitique 19,18, de l’évangile de Marc 12,31 et parallèles.</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-12487741639457283062008-02-18T05:30:00.000-08:002008-02-18T05:35:48.844-08:00La vérité phénoménologique<div align="justify"><strong>La vérité phénoménologique : relative et vraie</strong><br /><br /> 87. Le relativisme sceptique est la maladie infantile de la philosophie et des sciences, celle de ne pas réussir à aller au-delà du doute et de la curiosité - moteur de toute recherche du savoir -, de laisser que celui-là soit la défaite de celle-ci. Les grands penseurs, pour le réfuter, ont presque tous assis leur vérité sur des absolus transcendants. L’exception<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a> a été Aristote et sa <em>Physique</em>, dont Heidegger (1968) a dit qu’elle était, « en retrait, et pour cette raison jamais suffisamment traversé par la pensée, le livre de fond de la philosophie occi­dentale”. Or, on peut se rendre compte d’abord que c’est dans les deux premiers livres de ce texte méconnu que les catégories philosophiques d’Aristote sont posées, définies et argumentées en vue de comprendre l’étant en tant que physis, en tant que capable de mouvement, c’est-à-dire génération, croissance, altération et corruption des vivants. Se rendre compte ensuite que ce sont ces catégories qui, d’une part, structurent ses textes scientifiques (zoologie, météorologie, poétique, politique) et qui, d’autre part, sont reprises dans la <em>Métaphysique</em> en vue de comprendre l’étant en tant qu’étant. On arrivera ainsi à saisir le statut de cette <em>Physique</em> dans le corpus aristotélicien, à la racine aussi bien des textes scientifiques que métaphysiques : celui d’une <em>philosophie avec sciences</em> qui a duré vingt siècles, jusqu’à Newton et Kant, tant qu’a duré la civilisation autarcique qu’elle a pensée.<br />88. Sa catégorie première est celle d’<em>ousia</em>, indissociablement ‘substance’ (réel) et ‘essence’ (discours, pensée), mais devant lui opposer l’accident, l’événement, la temporalité en tant qu’affectant le mouvement de l’<em>ousia</em> elle-même, cette accidentalité l’affectant en sa ‘substantialité’. C’était la seule façon de satisfaire les exigences d’intemporalité, inlocalité et incirconstancialité de la textualité gnoséologique inventée par la définition (§§ 12-14), il fallait donc consentir à l’opposition<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>, qui accompagne toute l’histoire de la philosophie, entre être et temps. La traduction latine d’<em>ousia</em> en deux termes, substance et essence, et l’introduction par Thomas d’Aquin dans la théologie chrétienne, jusque-là platonicienne et augustinienne, d’un aristotélisme où le mouvement n’occupait plus la place centrale, a rendu possible la querelle du réalisme et du nominalisme qui a séparé la ‘réelle’ substance de la ‘nominale’ ou ‘mentale’ essence et ouvert ainsi à la révolution cartésienne du sujet et de son cogito, d’une part, et à la philosophie naturelle expérimentale sur la ‘matière’, c’est à dire à la physique et à son laboratoire, d’autre part. Kant a essayé de réconcilier l’inconciliable, si l’on peut dire : c’était notre point de départ.<br /> 89. En vue de justifier ma façon de reprendre la filière Husserl – Heidegger - Derrida, il faut maintenant revenir, à la lumière de la philosophie <em>avec</em> sciences, sur l’élargissement de la réduction phénoménologique (§§ 15-18). Avec Husserl, on a eu réduction de la chose apparaissante dans son empiricité, réduction ou suspension de sa substantialité physique et de ses liens dans le monde (la scène), pour ne retenir que son apparaître structurel, phénoménal ; or, cette réduction se trouve reprise, élargie et confirmée, pas seulement comme opération de pensée philosophique, mais aussi dans les <em>opérations</em> des quelques sciences retenues ici. En effet, la donation effacée par l’<em>Ereignis</em> n’a été possible que par cette réduction du substantialisme : retrait de la mère qui a donné le bébé pour qu’il devienne enfant, puis adulte, retrait des voix qui enseignent ; sans se soucier d’en donner des exemples, Heidegger aura pensé, à son insu peut-être, et la naissance et l’apprentissage, voire même la fabrication technique<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>, la venue à la présence de tout ce qui apparaît, la pro-duction de tout phénomène : <em>donné et laissé être</em>. Ensuite, Derrida a déplacé la réduction phénoménologique vers la différence entre les sons apparaissants (aux ouïes) et l’apparaître des sons, en rejoignant, à son insu peut-être, ce qui se passe quand un enfant apprend à parler et quand nous tous apprenons quoi que ce soit : ce que nous écoutons (ou lisons), ce que nous voyons ou touchons, est réduit des voix ou typographies dans nos graphes neuronaux, ne restant que les <em>différences significatives</em> qui peuvent être à l’origine de notre voix et de notre savoir. Or, comment ceci se fait-il ? En tenant compte de Heidegger, ces différences retenues ‘viennent à l’être’ du fait même de la réduction de la voix de l’autre, de ses sons, c’est cette réduction qui ‘laisse’ apparaître ces différences dans notre voix et savoir : <em>la pro-duction de Heidegger ne va pas sans la réduction d’Husserl</em>. La grande astuce de Derrida – « je di­rais que la <em>différance</em> m’a paru stratégi­quement le plus propre à penser le plus irréduc­tible de notre ‘époque’ », disait-il en 1968 – a été de nouer ces deux découvertes phénoménologiques majeures dans sa différance ou trace, espacement-temporalisation, structure du rapport à l’autre, origine du langage comme écriture (1967a). Je propose dans le texte de référence de grapher cette double opération <em>ré(pro)duction</em>, pour y garder, hors des parenthèses, la réduction d’Husserl, dans le ‘pro’ la donation heideggérienne qui <em>fait</em> venir à la présence en tant que temps, et dans les parenthèses son effacement qui <em>laisse</em> venir à l’être, autonome. Il n’y a pas que l’apprentissage de la parole et du savoir, il y va aussi de celui des usages des unités sociales, où c’est le paradigme qui est retenu dans la réduction des gestes des maîtres pour que le disciple l’apprenne (‘on fait comme ça, tu vois ?’) ; on peut dire que toute description ethnographique consiste à restituer ce paradigme, en réduisant l’apport empirique des interprètes. Mais aussi le fameux génome des biologistes est réduit de sa moitié dans la formation des gamètes pour que leur rencontre, d’une cellule femelle et d’une cellule mâle, rende possible la venue à l’être d’un œuf qui sera nourri (par des ré(pro)ductions indéfinies, à chaque cellule qui se divise en deux) jusqu’à la naissance (pro-duction) du mammifère, donné et laissé venir à l’être. C’est-à-dire qu’il ne s’y agit pas seulement d’opérations d’analyse laboratoriale scientifique, mais <em>de</em> <em>vraies opérations ontiques, où l’égalité de l’existence et de l’essence du I Heidegger est étendue par le II à tout étant, pas qu’aux seuls humains</em>.<br /> 90. Sans doute, faudra-t-il au lecteur, qui se soit trouvé attiré par ses brèves considérations, beaucoup de patience dans la lecture du texte de référence pour m’accorder ce que j’avance ici, que <em>la phénoménologie de ces trois grands philosophes du 20e siècle, illuminant ses cinq découvertes scientifiques majeures et illuminée par elles, en rassemblant à nouveau philosophie et sciences, se donne comme l’achèvement du projet de savoir ouvert par trois autres très grands penseurs, Socrate, Platon et Aristote, le dépassement notamment de l’opposition entre les essences et les accidents, c’est-à-dire entre l’être et le temps</em>. Si j’ai raison (combien je regrette d’être obligé, par le genre littéraire d’un manifeste, à ne pas détailler un peu l’argumentation !), si la philosophie avec sciences, grecques et européennes, retrouve ainsi son unité, elle ne peut que retrouver aussi sa vérité<a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>. On peut dire que ces grandes découvertes, scientifiques et phénoménologiques, qui retrouvent leur vérité reconnue par la composition et articulation avec les autres, sont plus que les vérités du siècle : qu’elles resteront vraies tant que restera la civilisation actuelle d’elles issues. <em>Cette vérité est, bien sûr, relative à l’histoire gnoséologique de l’Occident, entre la Grèce et l’Europe, de part en part historique, elle n’est pas absolue</em><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn5" name="_ftnref5"><em>[5]</em></a><em>. Mais elle est vraie</em>, de ‘notre’ vérité occidentale (la seule que nous ayons).<br /> 91. Ces vérités, l’achèvement de la philosophie avec sciences, la Physique d’Aristote remplacée par la nouvelle Phénoménologie, ne signifient aucune ‘fin de la pensée’, ni des sciences, mais bien au contraire, l’ouverture de toutes nouvelles possibilités. Disons qu’il y a ici <em>un pari philosophique concernant cette vérité</em><a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn6" name="_ftnref6"><em>[6]</em></a><em> : que les découvertes scientifiques à venir dans ces domaines ne viendront pas contredire ces mécanismes d’autonomie à hétéronomie effacée</em>, mais plutôt les affiner, les complexifier. Un pari aussi en faveur d’une interdisciplinarité plus poussée parce que mieux comprise, ayant trouvé les nœuds des articulations des domaines. Et un pari encore sur l’indéfinité des thèses philosophiques (‘avec’) qui pourront y trouver des ressources, soit par rapport à l’histoire de la philosophie, relue à la lumière des grands gestes phénoménologiques dégagés, soit par les possibilités de recours aux recherches scientifiques dans des questions philosophiques y ayant trait.<br /><br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Ne le connaissant pas assez, je ne tiens pas compte ici de l’effort gigantesque de Hegel pour dépasser cette opposition : sans doute, n’avait-il pas de sciences à la hauteur de l’ambition de son programme.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Du gnoséologique aux récits et discours disant le singulier temporel.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> De façon très simplifiée : de l’expérimentation scientifique au laboratoire, la technique ne retient que l’équation dont les variables correspondent aux mesures expérimentales, la matérialité des choses expérimentées étant réduite; cette équation servira ensuite à la production d’un artefact technique, dans sa matière et sa capacité de fonctionner, son temps de validité. Le laboratoire-usine aura donné une machine, par exemple, et la laisse aller en tant que capable de fonctionner hors de la portée du physicien et de l’ingénieur.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Un tableau phénoménologique du texte de référence essaie d’en résumer la démonstration. L’écriture de ce texte a été une aventure de découvertes, j’espère bien qu’il y ait des lecteurs pour s’en réjouir. Parmi ces découvertes inattendues, il va de soi que celle d’une très improbable – et intempestive - vérité relative à l’ensemble de l’histoire de la pensée occidentale reste la plus gratifiante. C’est toute son épopée de penseurs, de savants, qui est reconnue dans leur passion de penser et de connaître en vérité, reconnue y compris dans ses erreurs éventuelles.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> Il n’y a pas de vérités absolues en philosophie ni en sciences, il n’y en a que pour les croyants en des révélations transcendantes.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> Il s’agit ici d’une thèse philosophique ayant portée sur l’histoire. Celle-ci peut la contredire, c’est fait d’ailleurs : la grammaire générative, qui est aujourd’hui en position dominante dans les universités américaines et européennes sans être toutefois scientifique selon les critères phénoménologiques exposés, marque une récession historique par rapport à la science linguistique saussurienne qui triomphait dans les années 60 en Europe et dont le texte cité de M. Gross (§ 66) reste le plus beau fleuron.</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-75164732673982256412008-02-18T05:25:00.000-08:002008-02-18T05:29:57.882-08:00Évolution et hétérarcie<div align="justify"><strong>Logique de l’évolution par supplément (1) : vers l’hétérarcie<br /></strong><br /> 92. Vu de la Terre avec nos sciences, l’Univers constitue une seule scène de circulation de graves qui s’est dédoublée en d’autres qui ont ajouté aux précédentes de nouvelles règles de circulation. Pour voir un peu plus clair, si l’on prend le point de vue de la stricture de l’énergie excessive et chaotique, on peut dire qu’il y a <em>quatre grandes lignées</em> de (sous) scènes : celle de la gravitation (stricturé le noyau atomique), celle de l’alimentation (le programme génétique), celle de l’habitation humaine (la privation des unités sociales avec interdit de l’inceste ou équivalent), celle de l’inscription (le système phonologique). Dédoublées les unes à partir des autres, les lignées terrestres se sont dédoublées à leur tour - par différenciation en des espèces variées - en de nombreuses sous-scènes, selon deux longues évolutions, l’une biologique et l’autre historique; à même type de stricture, ces évolutions ont consisté en une complexité croissante du jeu oscillant en retrait régulateur.<br /> 93. Regardons du côté de ce jeu d’oscillations. Les cellules d’un mammifère font tout ce qu’il leur faut faire dans leur spécialité pour arriver à être nourries, cette nourriture leur permet­tant ensuite de faire tout ce qu’il leur faut faire dans leur spé­cialité pour arriver à être nourries, et ainsi de suite, sans que l’on puisse décider entre ‘faire’ et ‘être nourrie’, <em>entre l’actif et le passif</em>. Appelons ceci <em>le cercle homéostatique</em>. C’est l’indéci­da­bilité de ce cercle qui rend très difficile d’étayer théoriquement une logique, soit de l’origine de la vie, soit de son évolution ensui­te. Car les cellules et leur programme génétique, liées entre elles par la circulation du sang, tiennent tenacement à leur reproduction telles qu’elles sont : l’évolution devrait être impossible<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. De même, Lévi-Strauss a décrit les sociétés dites primitives comme des <em>sociétés froides</em>, c’est-à-dire résistant aux inventions et au changement historique, « sociétés contre l’État », a renchéri P. Clastres. Comme les cellules, il s’agit d’une résistance à l’évolution, d’une sorte de cercle répétitif de l’ordre de la parenté, leurs mythes et rituels ayant essentiellement un rôle conservateur (« on fait comme nos pères ont toujours fait »). Heidegger a parlé du <em>cercle herméneutique</em> : on ne rentre dans un texte sans être déjà, en quelque manière, au-dedans de sa problématique. C’est l’énigme de l’apprentissage, sinon de son impossibilité : à marcher, à nager, à parler, à devenir indigène d’une unité sociale, résidence tribale ou laboratoire fort spécialisé ; et pourtant, de même qu’il y eût évolution, on apprend tout le temps (sans qu’on s’en étonne suffisamment), les sociétés se ré(pro)duisent malgré les contradictions entre les envies de leurs unités locales d’habitation. Énigme encore que celle des inventions impossibles qui ouvrent de nouveaux paradigmes ; il y en a pourtant. C’est, à chaque niveau, l’inconciliabilité et l’indissociabilité entre les deux lois du <em>double bind</em>, entre l’autonomie donnée et l’hétéronomie donatrice qui reste en retrait, qui, dans le jeu complexe des événements, rend possible ce qui est impossible, <em>sans que l’on sache comment</em>. Et puisqu’on ne sait pas, <em>il faut dé-cider</em>, rompre le cercle pour le comprendre. Ce fut l’œuvre de la définition, qui a cassé le cercle herméneutique ; de Crick qui a décrété le dogme du déterminisme génétique pour assurer l’évolution par les seules mutations ; de Newton ayant recours au Créateur pour mettre en orbite les planètes du système solaire<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a> ; des pères, maîtres et autres chefs qui punissent pour qu’on soit forcé d’apprendre. Les <em>doubles binds</em> résistent pourtant : car, <em>au-dessus du minéral tout au moins, il n’y a capable de durer que des homéostasies</em>, <em>ces équilibres instables</em> que Prigogine nous a donné à comprendre.<br /> 94. Le motif du <em>supplément</em>, que Derrida (1967a) a proposé pour comprendre les rapports entre sexualité et écriture chez Rousseau, peut venir ici en aide. Un supplément vient en plus, ajoute quelque chose à ce qu’il y avait déjà, en y suppléant une caren­ce, un manque, qu’il vient combler, à la façon d’un joueur suppléant qui remplace dans une équipe celui qui vient de se blesser : c’est un surplus indispensable au suppléé. Si l’on veut penser ainsi l’évolution, ce manque de la scène précédente est rempli par de nouveaux assemblages en une nouvelle sous-scène. Paradoxe prigoginien, le manque ici est un excès d’énergie qui manque d’ordre, de stabilité, qui deman­de donc un supplément<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>. Or, il semble que chez Derrida, qui reprendra souvent ce motif, il a joué surtout pour articuler nature et culture, comme on dit, sans rupture entre eux, sans dualisme donc. Voici un exemple, celui de l’invention du néo-cortex chez les oiseaux et mammifères, dédoublé à partir de l’ancien (poissons et reptiles)<a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>. Il y a un double effet supplémentaire, d’ajout et de retour en arrière. Celui-ci, l’homéo­thermie (le sang chaud) due à ce surplus cérébral, bénéficie le système de nu­trition qui peut en conséquence s’adapter à des climats fort différents (c’est plutôt ‘biologique’, ‘naturel’). Le premier accorde un essentiel développement d’habitation, traduit, je crois, dans un éventail accru de ruses et stratagèmes, soit de prédation et de fuite, soit la capacité de démarquer un territoire à soi, un habitat, et de le défendre : les nids en seraient les témoins éloquents, la possibilité de la technique à venir. L’émission de so­norités se sera accrue : les oiseaux encore et leur chants, la possibilité de la parole à venir. Il s’agit donc de ‘créer’ un ‘monde’ pour les groupes, un monde à l’extérieur (plutôt ‘culturel’), celui des nids, des branches d’arbre, des trous, des sons aussi, des vi­brations de l’air à certaines fréquences : ‘nature’ et ‘culture’ y sont déjà indissociables, puisqu’on ne peut réserver la nature au seul système de nutri­tion (ce qui sera peut-être le cas chez les plantes).<br /> 95. Ce motif derridien permet de généraliser la transition historique des sociétés à maisons autarciques aux sociétés hétérarciques contemporaines, permet une approche de la logique des évolutions, autant biologique qu’historique, voire de l’énigme des origines<a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. La logique de l’autarcie est celle de la <em>juxtaposition</em> d’assemblages semblables, homogènes, tandis que l’hétérarcie consiste en une nouvelle <em>organisation </em>d’assemblages <em>spécialisés</em>, hétérogènes, créant donc un assemblage d’un niveau plus élevé. Or, c’est ce que l’on trouve d’abord dans le passage du non vivant au vivant, un grave (une pierre, l’eau) étant une juxtaposition de molécules égales, une cellule un nouvel ordre de molécules spécialisées, différentes entre elles. C’est ensuite la logique de l’évolution biologique : des colonies d’unicellulaires donnent d’abord des organismes (à cellules spécialisées) en segments juxtaposés ; la grande étape suivante, répétée et chez les invertébrés et chez les vertébrés, a été celle des espèces à métamorphoses, passage d’un stade par segments juxtaposés à un stade où la spécialisation se généralise à l’ensemble de l’organisme ; enfin, les espèces au-dessus ont trouvé les moyens pour que leur embryologie soit déjà celle de la spécialisation organisée des tissus.<br /> 96. On retrouve une semblable logique dans l’évolution historique des sociétés humaines. Les plus simples ont segmenté leur population en unités locales, où les usages sont déjà spécialisés<a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>, comme partout dans la suite, mais l’ensemble de la société est la juxtaposition de ces unités. Les sociétés à maisons juxtaposent les agricoles qui assurent les fonctions de nourriture, mais en spécialisant celles de défense par celles des nobles, tandis que les villes ébauchent déjà le futur supplément hétérarcique dans les maisons d’artisans spécialisés (l’ensemble régional en autarcie) ; toutefois, ces divers types de maisons assurent toutes la reproduction sexuelle de parenté, ensemble l’hérédité et l’héritage. Et ce sera le développement hétérarcique des villes, fécondé par les laboratoires scientifiques et par l’école, qui cassera les maisons autarciques entre des unités d’activité économique (ou équivalent) spécialisée et des unités exclusivement de parenté, les familles. Cette hétérarcie a connu aussi des développements, jusqu’à sa tendance actuelle à se globaliser. Ceci posé, une nouvelle question fait jour: pourquoi donc avoir abouti à ces unités spécialisées dans la reproduction sexuelle ? Y aura-t-il un autre aspect de la logique cachée des évolutions, biologique et historique ?<br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> C’est aussi pro­ba­ble­ment ce qui rend très dif­ficiles les recher­ches concernant l’em­bryologie.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> L’inertie de chaque planète est passive en tant que ‘donnée’ par le champ (§ 79), active en tant que jouant en celui-ci sur les autres. Les lois de Newton permettent de comprendre son fonctionnement, pas comment cela a commencé.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Chez Rousseau d’ailleurs aussi.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Celui-ci est le responsable de l’homéostasie du sang et de son articulation avec les comportements de prédation et fuite. Le néo-cortex, dont les graphes passent aussi par le paléo-cortex (c’est pourquoi il s’agit d’un double cerveau, pas de deux cerveaux), se spécialise dans ces comportements. Cette articulation, la plus énigmatique qui soit, entre les hormones du paléo cortex et donc l’homéostasie du sang, d’une part, et les neurotransmetteurs et graphes du néo cortex, d’autre part, est le lieu énigmatique dudit psychosomatique, probablement des maladies ainsi nommées.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> Cette énigme consiste pour l’essentiel en ce que c’est la répétition, la reproduction, qui est originaire, que donc il n’y a pas d’origine.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn6" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> À la façon des molécules d’une cellule.</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-16566751633442903732008-02-18T05:20:00.000-08:002008-05-05T15:03:44.636-07:00Évolution et sexualité<div align="justify"><strong>Logique de l’évolution par supplément (2) : le rôle de la sexualité<br /></strong><br />97. Pour répondre à cette question, reprenons le cercle homéostatique d’une espèce animale quelconque. Pour comprendre l’évolution, il faut tenir compte des 3 (ou 4) <em>doubles binds</em> référés (§ 80), à la suite, sans doute, de tremblements de la scène écologi­que ; il s’agira à chaque fois de remplacer un cercle homéostatique par un autre un tout petit peu différent, qui continue­ra de bien marcher, sans qu’il n’y ait aucune raison pour en exclure le jeu des oscillations entre les 3 ou 4 <em>doubles binds</em>, supplémentaires les uns aux autres. Pour qu’il ait lieu, ce remplacement doit pouvoir compter sur des complices au dedans du cer­cle homéos­tatique, qui tou­tefois ne fassent pas partie de sa logi­que ni de ses oscilla­tions. Voici que les hormones stéroïdes de la sexualité ont cette fort étrange logique, d’être dedans et de pousser vers l’autre dehors à la fois, d’être issues du métabolisme (de certaines glandes) et ver­sées dans le “milieu intérieur” où l’ho­méostasie est régulée, en échap­pant toutefois à l’économie de la nutrition. Elle en est l’in­ver­sion, une con­tre-économie, un gaspillage éperdu (§ 39). À l’inverse de tou­tes les autres cel­lu­les spécialisées, ces glandes ne sont point au service de leur nourri­ture à tous, elles forment un autre système qui est au ser­vice de l’espèce, en excès par rap­port à sa loi fondamentale. Si l’on songe à ce qui se passe chez les espèces asexuées, on peut dire que la reproduction sexuelle des espèces animales a impliqué l’invention de la mort (des cadavres), de la bipolarité femelle / mâle, de la filiation et de la fraternité, donc de la parenté, des conditions de l’apprentissage. On ne s’étonnera pas que ces motifs reviennent dans le discours psychanalytique sur la sexualité humaine en tant que soumise toujours-déjà à la loi. Cela a été une sorte de deuxième grande invention de la vie, dont l’immense variété des espèces est le résultat. Il se trouve, d’autre part, selon J.-D. Vincent, que les hormones sexuelles ont un rôle décisif dans l’embryologie du cerveau, une plasticité étonnante entre hormones mâles et femelles, la possibilité en certaines circonstances de venir prendre place dans le génome pour la synthèse de protéines ; elles ont aussi un rôle fondamental dans les métamorphoses des invertébrés et des vertébrés. Or, le dépassement du très curieux phénomène des métamorphoses a abouti - autant chez les invertébrés, les arthropodes, que chez les vertébrés, oiseaux et mammifères – à des espèces endogamiques de façon bien plus stricte que dans des espèces moins évoluées, comme si la reproduction sexuelle, entrée très tôt dans l’évolution, en devenait en quelque sorte le but. Mieux encore, au sommet des vertébrés, elle a abouti aux espèces classées comme ‘mammifères’, où le système de reproduction des espèces, jusqu’alors le fait d’œufs pondus à l’extérieur, vient se loger dans le ventre et les mamelles des femelles : ce bouleversement de l’anatomie et de la physiologie du système de nutrition par le système (tiers) de la reproduction sexuelle n’aurait rien à voir avec les hormones stéroïdes ? En conséquence de ces réflexions, le texte de référence ébauche une hypothèse<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a> sur le rôle éventuel des hormones sexuelles dans l’évolution (repérable peut-être en embryologie) qu’il n’est pas possible d’exposer ici mais qui fait pendant avec le rôle (supplémentaire, de sublimation) de la sexualité dans l’évolution historique des sociétés humaines.<br />98. Pour commencer, espèce endogamique comme les autres mammifères, les sociétés humaines se sont données toutefois des frontières d’endogamie bien plus serrées entre elles, en faisant de l’échange des femmes – devenues l’élément ultra-précieux de la reproduction - un lien social principal, tandis que la sexualité excessive (les femmes ne sont plus limitées par le rut) était interdite entre les gens du même ‘sang’ ou de la même ‘chair’. À l’instar des femelles des autres primates, les femmes sont moins robustes que les hommes, d’une part, trop de temps embarrassées par les grossesses et allaitements, et donc à protéger, d’autre part ; la loi de la guerre semble bien être la raison principale de cet échange généralisé<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>.<br />99. Pour comprendre la genèse de cette loi, il faut suivre l’évolution des ‘forces’. Les physiciens ont montré que les forces constitutives de la matière - nucléaires, électromagnétiques et gravitationnelles - sont permanentes et attractives, ce qui déjà avait beaucoup étonné Newton, car il avait développé sa mécanique autour de forces occasionnelles, pour ainsi dire locales. On peut poser que, sur la terre, les premières forces non attractives ont été d’ordre biologique, d’abord les membranes cellulaires, puis les forces musculaires de mobilité en général, de <em>préhension</em> par la bouche dans la prédation (Leroi-Gourhan), les forces des luttes. Le néo-cortex des mammifères carnivores a rendu possible la <em>com-préhension</em>, le développement de stratégies pour la préhension. C’est sur cette compréhension que le langage sonore est venu se greffer (Vygotsky) et hausser la capacité des humains<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a> à former des sociétés plus vastes, qui ont d’abord des buts de mammifères, ceux de se nourrir et de se défendre. Leurs unités sociales auront inventé, dans le nœud de ces diverses lignes (se nourrir et défendre, compréhension stratégique, langage), un type de force attractive non-physique, celle des <em>paradigmes</em> des unités sociales qui <em>attirent</em> chacun de ses agents à accomplir les usages de l’unité par l’assurance de nourriture et défense (tout seuls, ils sont perdus devant la loi de la jungle). Or, ces paradigmes impliquent dans leur force attractive l’interdit de l’inceste, c’est-à-dire que la modération des envies sexuelles excessives fait partie du nœud paradigmatique.<br />100. L’invention du langage et plus tard de l’écriture (technique d’inscription durable de chiffres pour compter et calculer et du langage oral) a été à l’origine de la quatrième grande lignée évolutive, celles des inscriptions sur une matière d’emprunt, qui s’est développée en Occident sous deux formes d’institutions, l’une à origine grecque, l’école, l’autre à origine juive, l’église chrétienne. La transmission de l’héritage scripturaire – et c’est la raison de fond qui en fait une lignée à part de celles des maisons, où toutefois le langage oral a un rôle décisif – se fait toujours par apprentissage, sans doute, mais en dehors de la parenté, non plus entre père et fils ou mère et fille comme dans les maisons, mais entre maître et disciple, par ‘vocation’ (§ 51). C’est pourquoi il faut parler d’institution : la parenté en est exclue, c’est-à-dire la reproduction sexuelle, la sexualité, bref la nature ou ‘phusis’. Que l’église soit ‘sur-naturelle’ (dans la latinité, son clergé est célibataire)<a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a> et l’école, pourrait-on dire, ‘méta-physique’, c’est par effet de leur rapport essentiel à la lecture et à l’écriture comme <em>autres que la nature</em>. Et c’est la <em>sublimation</em> freudienne - déplacement des énergies sexuelles excessives pour motiver des activités non sexuelles, des envies spirituelles et de connaissance à la place des envies des maisons (dès la bonne chère jusqu’à la gloire du pouvoir) - qui semble devoir être invoquée pour comprendre le rapport <em>supplémentaire</em> de ces institutions aux maisons qui leur fournissent leurs agents et nourriture respective.<br />101. Ces deux institutions ont constitué une lignée marginale à celle de la parenté. Elles se sont rencontrées au tournant du 2e au 3e siècles et ont fait tresse entre elles, dans l’élaboration de la théologie chrétienne, qui a emprunté les catégories philosophiques de Platon pour se constituer (Clément d’Alexandrie et surtout Origène). Ceci a été la chance de la future Europe, car la première grande étape de ces institutions d’écriture après l’effondrement de la première modernité de la Méditerranée, de l’empire romain d’occident, a été la généralisation religieuse de l’église impériale aux sociétés dites barbares, la constitution de la Chrétienté. L’église du livre y enveloppait tout le monde, même les analphabètes. Et puis l’invention des universités médiévales, <em>mixte d’école et d’église</em>, si l’on peut dire, qui a mis Aristote au programme scolaire (un tout petit peu platonisé d’ailleurs). La troisième étape a été celle de l’éclatement de la Chrétienté par le protestantisme que l’imprimerie a rendu possible, l’un et l’autre précipitant la séparation progressive des deux institutions. La quatrième a été celle de l’invention des laboratoires scientifiques, où, comme Newton l’a bien écrit, géométrie et mécanique se sont jointes au sein d’une philosophie naturelle : c’est le chambardement de l’école, l’introduction des mains et des instruments techniques de mesure et expérimentation dans la recherche de la connaissance. Cette mécanique était repérable dans des institutions quasi modernes comme les chantiers navals : c’était la technique des usages qui quittait les maisons des artisans des villes, comme d’autre part les manufactures faisaient une juxtaposition de métiers de tissage avant les usines hétérarciques que la machine à vapeur allait rendre possibles comme dernière et révolutionnaire étape. Ce fut la conjonction de l’écriture scolaire et de la technique, ce double pas et dans les laboratoires et dans les usines industrielles et capitalistes, qui a assuré le <em>triomphe de l’école sur l’église</em><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a> : c’est maintenant à l’école de l’écriture à envelopper tout le monde et à rendre possible et nécessaire la démocratie politique, en assumant la laïcité. C’est aussi ce double pas qui a cassé les maisons entre institutions et familles. La reproduction sexuelle reste exclue des institutions où l’on travaille, comme auparavant de l’école et de l’église, les énergies sexuelles doivent être sublimées, notamment là où hommes et femmes collaborent quotidiennement. N. Elias a raconté la préhistoire de cette sublimation, la genèse du ‘super ego’ de la civilité européenne dans les cours des monarchies : il découvrait ainsi le pendant dans notre modernité à la leçon de Lévi-Strauss sur les sociétés des débuts humains. On peut dire, en effet, que l’importance accrue de l’école et des médias dans l’éducation des gens, l’entrée massive des femmes dans le monde du travail et la découverte de la pilule, ont eu débouché dans les sociétés occidentales sur la diminution soudaine du poids du patriarcat, de l’autorité sociale sur la sexualité, d’abord juvénile et féminine, sur une vraie ‘révolution sexuelle’ dont c’est la dimension politique qui s’est manifestée avec éclat dans les années 60 et 70. <em>Inventée au début de l’évolution biologique, la sexualité se libère de sa fonction reproductrice et devient érotisme accessible à tout le monde, au bout – à nos yeux – de l’évolution historique</em>.<br />102. Ni Lévi-Strauss ni Elias n’auraient été possibles sans passer par Freud. Que la psychanalyse ait du mal à être reçue comme science, que chez elle la sublimation reste peu travaillée, ce sont des indices de comment sans doute ce motif du supplément sera difficile à élaborer de façon satisfaisante. Il consiste dans la façon dont se tisse le nœud d’un double bind, d’un double lien – ni ‘un’ ni ‘deux’, ‘un double’, car aucun n’existant sans l’autre, indissociables – qui contient le trop d’énergie d’une scène de circulation donnée par une (autre) force la stricturant (inhibition de quelques éléments) et rend cette énergie, devenue oscillante, adaptable à la circulation de la nouvelle scène, supplémentaire. La difficulté, c'est qu’il s’agit, en quelque sorte, de la greffe d’une homéostasie en ses petites répétitions sur une autre homéostasie en ses petites répétitions. Si l’on songe à la séquence évolutive suivante - unicellulaire / organisme avec circulation de sang / réseau neuronal / usages et langage dans l’unité locale d’habitation / société globale -, on se rend compte que c’est ce qui était (et ne cesse de l’être, bien sûr) régulateur de l’homéostasie dans la scène suppléée qui est inhibé strictement dans la scène supplémentaire : les cellules spécialisées dans le passage du premier au second, les hormones du paléo-cortex dans celui du second au troisième, les gestes (‘primitifs’) et les bruits des hominidiens du troisième au quatrième, les unités locales privées dans le dernier.<br />103. Une petite parenthèse. Il faut, me semble-t-il, penser (pour mieux agir) que les diverses sociétés actuellement en rapport entre elles (ladite globalisation) n’ont pas le même parcours historique, notamment en ce qui concerne les deux types d’institutions d’écriture que l’on vient d’évoquer (même entre des pays de tradition occidentale : protestante, catholique ou orthodoxe et différentes époques d’alphabétisation). C’est pourquoi il n’est pas surprenant que ces décalages posent de très graves problèmes. On peut comprendre que l’anti-occidentalisme de nombreux clercs de l’Islam (je ne parle pas du terrorisme, affaire de police) est comparable à la réjection de la modernité par l’Église catholique jusqu’aux années 1960, qu’il leur faudra donc aussi du temps historique, mesurable peut-être en termes de générations. Tandis que les civilisations asiatiques, si anciennes, avec une si longue tradition scripturaire et sans l’ ‘absolu’ du Monothéisme, n’ont pas trouvé ce type d’obstacles dans leur modernisation accélérée. La question qui est ouverte, plus peut-être que le ‘choc’ des civilisations, est la façon dont ces cultures asiatiques, <em>sans l’opération de définition dans leurs traditions</em>, vont (ou sont en train de) réagir à nos sciences non mathématiques, quelles greffes en résulteront. Le problème des sociétés de l’Afrique « mal partie » est sans doute qu’elles étaient encore tribales, il y a deux ou trois générations : combien de générations leur faut-il pour une modernisation conséquente avec leurs traditions, leur permettant d’échapper à l’exploitation néocoloniale des multinationales ? La façon dont Mandela, Kofi Anan et tant d’autres Africains sont devenus des personnages historiques montre que ce n’est pas une question de racisme ; il faut faire attention aux différentes temporalités des sociétés, <em>à leurs ancestralités en retrait</em>. Les Occidentaux, de leur côté, pourront apprendre avec ces Autres, en termes de solidarité, ce que des siècles d’individualisme d’ ‘âmes’ et de ‘sujets’ nous ont fait perdre ; il faudra s’attendre à l’inverse à ce que les grandes civilisations asiatiques gagnent, avec la technologie, quelque chose de la ‘liberté’ occidentale et sachent se prémunir de notre individualisme outrancier.<br /><br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Dans ce cas, il ne s’agit que de lier des choses connues mais éparses.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Il se peut que le cadre quasi féministe des îles de Trobriand décrit par Malinowski n’ait été possible que par l’isolement insulaire de la tribu, condition nécessaire, peut-être pas suffisante.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Son apprentissage par les enfants hausse leurs voix aux recettes des usages appris, leur épargnant l’effort impossible de les découvrir tout seuls ; en recevant les mots avec lesquels la communauté pense, leurs voix apprennent très vite à penser.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> C’est le sens de l’opposition entre esprit et chair dans le Nouveau Testament. Celle-ci est l’ordre de la parenté, où la reproduction sexuelle a sa place sans doute, mais qui n’est pas envisagée d’elle-même. Une des équivoques les plus graves sur la sexualité a été l’interprétation très tardive des récits mythiques sur la naissance virginale de Jésus comme impliquant que Marie soit resté vierge le reste de sa vie, quand pourtant les évangiles nomment les frères et sœurs de Jésus, l’un d’eux, Jacques, étant devenu le principal dirigeant de l’église de Jérusalem, auquel Paul s’est heurté. Ces récits ne visaient pas le sexe : le nouveau-né, à l’instar d’Isaac, Samuël et Jean Baptiste, était donné par Dieu, avait un destin messianique, n’était pas issu de la chair, de l’ordre de la parenté. C’est le manichéisme et d’autres courants anti-sexualité du 3e siècle qui ont été à l’origine de ce que l’on appelle, de façon fort erronée, morale judéo-chrétienne : hellénistico-chrétienne, faudrait-il dire, car dans les Bibles, hébraïque et chrétienne, on n’en trouve pas de traces.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn5" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> Que le christianisme, pour son meilleur et son pire, soit en retrait dans les structures de la civilisation moderne, incompréhensible sans cela comme sans philosophie ni sciences, n’accorde aucune hégémonie ‘symbolique’ aux Églises actuelles, de même que la Grèce actuelle n’en a aucune du fait que ses ancêtres aient inventé la philosophie et le discours scientifique (logique, géométrie). En effet, la modernité s’est instituée laïque, c’est cela la « mort de Dieu » (Nietzsche) : autant le croyant comme l’anticlérical doivent accepter la part ancestrale de son autre. </div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-73434053859531612372008-02-18T05:14:00.000-08:002008-02-18T05:18:39.600-08:00Pas de dernière instance<div align="justify"><strong>Qu’il n’y a pas de dernière instance (contre le réductionnisme)<br /></strong><br />104. Le réductionnisme est la prétention, chez certains scientifiques, de poser leur science à la place de la philosophie classique et de rendre compte sinon de l’ensemble des choses de l’univers (le physicalisme de certains physiciens), tout au moins de ce qui relève des sciences sociales : l’économie marxiste ou néo-libérale, la tendance de Freud et Lacan à tout expliquer par l’Œdipe ou l’inconscient, la sociobiologie, que sais-je ? Il s’agit dans tous les cas, me semble-t-il, de méconnaître la nécessité structurale du laboratoire dans leur science, dans la mesure où cette nécessité implique un geste de réduction que le réductionnisme ignore.<br />105. Mais la question se pose aussi des ambitions épistémologiques de la philosophie, de sa portée elle-même en tant que discipline qui a inventé la définition et la conséquente argumentation logique sur des essences absstraites : la phénoménologie de Husserl qui devrait ‘fonder’ les sciences, les divers matérialismes, idéalismes ou spiritualismes. C’est de cette primauté – marquée dans l’expression philosophie des sciences - que l’avec dans le titre de ce texte est l’abdication.<br />106. On l’a introduit en rapportant la réduction à la définition et en élargissant sa portée. On peut mieux préciser maintenant que, en plus du geste d’arrachement au contexte et de l’exclusion (ou réduction) générale de celui-ci, la <em>définition</em> a sa place, soit en philosophie, soit dans les théories scientifiques, pour déterminer la constellation des motifs respectifs de la façon la plus précise possible. Tandis que la réduction aura rapport, plus précisément, au geste de prélèvement du phénomène (arraché au contexte, qui est réduit) pour le ramener au laboratoire : s’il s’agit de physique, exemple majeur, le ramener aux opérations de mensuration et expérimentation. Celles-ci réduisent la ‘substance’ de ce qui est mesuré (espace, temps, température, masse, intensité du courant électrique, etc.) pour n’en retenir que les différences mesurées, les proportions, qui serviront à remplir les variables des équations des problèmes de ces opérations. Soit l’exemple de Galilée. Sans chronomètres à l'époque, il lui a fallu inventer la 'technique' que voici pour mesurer le temps en le 'pesant'! "Pour mesurer le temps, nous prenions un grand seau rempli d'eau que nous atta­chions assez haut; par un orifice étroit pratiqué dans son fond s'échappait un mince filet d'eau que l'on recueillait dans un réci­pient, tout le temps que la boule rou­lait dans le canal. Les quantités d'eau ainsi recueillies étaient à chaque fois pesées à l'aide d'une balance très sensible, et les dif­férences et proportions entre les poids nous don­naient les diffé­rences et proportions entre les temps". C'est specta­cu­lai­re: que l'on mesure en secondes ou en grammes d'eau, c'est pa­reil du point de vue de la 'connaissance' physique elle-même ; en fait, on n'a pas là 'du temps', pas plus que 'de l'espace', on n'a que des mesures, des <em>différences non substan­tiel­les</em>. Et cela suffit es­sen­tiellement à la physique. C’est pourquoi, au niveau laboratorial qui la définit en tant que science (la mathématique y étant comprise), la physique ne sait rien ni de l’espace ni du temps ni de la masse, tout en devant proposer des théories ‘philosophiques’<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a> comme condition d’interprétation des expérimentations et des équations. Et c’est cette réduction du ‘substantialisme’ (de l’aristotélisme médié­val et européen) – dont Husserl a hérité, à travers Kant : celui-ci l’a introduit dans sa philosophie avec la physique de Newton, en réduisant celle-là aux tâches de la connaissance non scientifique.<br />107. Ainsi, par exemple, l’acoustique, région de la physique qui s’occupe des phénomènes de sonorité, ne peut rien savoir des lois linguistiques qui se jouent dans le courant sonore qu’est une parole humaine, ni non plus la physiologie de la phonation ou du cerveau. La physique est incompétente en linguistique, parce que les sons qu’elle étudie sont réduits d’abord, dans leur façon de venir au laboratoire, de leurs ‘qualités’ sonores, linguistiques ou musicales : la réduction qu’elle opère l’empêche de distinguer parole et musique dans une chanson<a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. Mais la linguistique, Saussure le remarquait nettement dans son <em>Cours de Linguistique Générale</em>, réduit à son tour l’acoustique et la physiologie de la phonation pour pouvoir établir la phonologie. Quand plus haut on parlait de l’irréductibilité méthodologique entre la neurologie et la psychanalyse ou tout autre psychologie (§ 75), ce qui était en question, c’était la nécessité réciproque de chacune de ces disciplines de réduire ce qui relève de l’autre<a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>. D’une façon générale, toute science est science d’une certaine (sous) scène de circulation et de leurs assemblages et ne peut l’être qu’en réduisant les règles des autres (sous) scènes, soit précédant la sienne (elles sont présupposées, les nouvelles règles ne peuvent pas les contredire), soit lui étant supplémentaires (et donc jouant sur des règles nouvelles par rapport à la sienne). <em>L’articulation interdisciplinaire que l’on souhaite favoriser ici ne peut se faire que dans le respect des autonomies de chaque discipline ou scène</em>. Et pourtant aucune de ces scènes et sciences respectives n’est indépendante des autres, puisque toutes sont supplémentaires les unes aux autres, s’articulent entre elles selon des <em>doubles binds</em>.<br />108. Ceci étant, il est aisé de montrer les interdépendances réciproques. Que toutes les sciences européennes dépendent de la philosophie, leur histoire le démontre aisément : toutes ont pris naissance à partir d’elle, en reformulant, ‘de façon ‘philosophique’ tout d’abord, les catégories reçues de leur tradition (et les méthodes, à commencer par la définition et par sa façon d’argumenter gnoséologiquement). Et continuent d’en dépendre : par exemple, aucune science ne peut justifier, avec sa méthodologie, ni son laboratoire ni sa conceptualité, ni ces notions elles-mêmes, de ‘notion’, ‘science’, ‘justification’, ‘méthode’, ‘concept’, ni non plus ceux d’ ‘essence’, ‘matière’, ‘réalité’, ‘phénomène, ‘description’, ‘définition’, etc., etc. Mais la philosophie n’en dépend pas moins, dans son histoire, de la géométrie (Platon), de la zoologie et de la botanique (Aristote), de la mathématique (Descartes, Leibniz, Husserl), de la physique de Newton (Kant), etc. De même qu’aujourd’hui elle ne peut pas ne pas dépendre de l’histoire (exemple d’Aristote et Kant de tantôt), ni des philologies linguistiques (du grec, du latin, de l’allemand, etc.), même quand un Heidegger (1968) reformule, avec des arguments philosophiques, les traductions acceptées d’un chapitre de la <em>Physique</em> d’Aristote. De leur côté, ces philologies ne peuvent pas non plus faire leur boulot sans connaître l’histoire de la philosophie. De jure, en plus de la philosophie, autant l’histoire et/ou la sociologie<a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a> que la philologie linguistique sont incontournables pour l’interprétation des connaissances scientifiques produites dans une langue et un contexte social donnés, sans que l’on puisse, me semble-t-il, dire la même chose de la physique–chimie ou de la biologie, dont pourtant les règles sont décisives pour tout ce qui relève de l’humain. C’est cette absence de dernière instance qui justifie la levée de la parenthèse kantienne ici : la <em>philosophie avec sciences</em> est, d’une part, le repérage de ce qu’il y a de philosophique dans les principales sciences, comment leurs découvertes au 20e siècle permettent de réélaborer le discours philosophique, d’autre part, la démonstration du ‘sol’ historique commun qui est celui des six disciplines et de leurs interdisciplinarité essentielle.<br /><br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> C’est pourquoi Heidegger disait que les sciences ne ‘pensent’ pas. Mais il aurait dû ajouter que les scientifiques pensent en philosophes : c’est pourquoi leurs théories sont justiciables de critique philosophique ou épistémologique.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn2" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Donc ni les lois physiques de l’Acoustique ni celles, biologiques, de la Génétique ou de la Neurologie ne déterminent celles des langues, merveille de Babel menacée, pas plus que celles des mathématiques ou des musiques.<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn3" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> On peut dire que A. Damásio a découvert, chez ses patients du type Phineas Gage, la réduction des neurotransmetteurs des usages de travail qui a laissé les seuls graphes de Changeux, les petites répétitions de ces usages. Et il se peut aussi que les rêves soient, à l’inverse, les seuls neurotransmetteurs jouant dans les seuls graphes cérébraux, sans l’intervention des zones Broca et Wernicke du langage (desquels relèveraient ce que Freud a appelé « élaboration secondaire »).<br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn4" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Voire l’anthropologie qui étudie un laboratoire (B. Latour).</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-34515269926959725582008-02-18T05:07:00.000-08:002008-02-18T05:14:33.138-08:00Pollution et monétarisme<div align="justify"><strong>Pollution et monétarisme</strong><br /><br />109. Il ne faut pas terminer ces indications sur les réductions sans en indiquer deux qui nous font mal aujourd’hui et qui menacent d’empirer. Les diverses pollutions sont l’effet indirect de la réduction des laboratoires des ingénieurs : machines ou substances chimiques sont expérimentées sous forme fragmentaire et en réduisant tous les phénomènes des scènes hors des murs du laboratoire, c’est-à-dire, des environnements qui pourront donc en subir des effets indésirables<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. À cette menace, la seule réponse technique possible, quand elle l’est, est celle de ramener, à leur tour, ces phénomènes de pollution au laboratoire, pour essayer d’y remédier. Mais la réduction est la condition de toute invention technique et simultanément de tous ses effets nuisibles éventuels, dont l’altération des climats est la plus redoutable, par son caractère catastrophique global et ses incidences sur les grandes économies, et donc leurs résistances.<br />110. La réduction économique est liée aussi, comme celle des expérimentations physique et chimique, à son utilisation privilégiée de la mathématique, de chiffres qui reviennent en toute rigueur à compter des unités de marchandises en termes d’unités monétaires et de taux abstraits (leurs coûts, prix de vente et profits). Car il n’y a pas en économie de dimensions mesurables comme en physique ou en chimie, qui rendent possible dans ces sciences des techniques adéquates ; c’est donc aussi exclu le caractère fragmentaire <em>précis</em> de ses opérations comptables de laboratoire. Étant en effet de type statistique, l’ économie ne ‘mesure’ pas, <em>elle compte</em>, ne fait pas d’algèbre au niveau laboratorial, que de l’arithmétique. Que la fragmentarité expérimentale ne soit pas <em>précise</em> en ses critères de prélèvement des phénomènes, cela signifie l’absence de frontières laboratoriales nettes : il n’y a pas de critères intrinsèques qui délimitent les champs des statistiques, entre le micro et le macro, ni entre les diverses sous-scènes sociales, ces champs sont indéfinis, livrés à un certain arbitraire (de la théorie ou de l’économiste). Par exemple ancien d’A. Gorz, les coûts en accidents (réparations mécaniques, hôpitaux, médicaments, assurances) comptent, autant que la production agricole ou d’automobiles, pour le PIB d’un nation, qui donc augmentera avec la sinistralité sur les routes et diminuera si des mesures efficaces sont prises pour la minorer.<br />111. Or, qu’est-ce qui est réduit par les comptes de l’économiste ? Les choses achetées et vendues, leur qualité et fiabilité, les gens qui reçoivent des salaires en échange de leur travail, leur justice sociale - qu’ils soient ‘très’ élevés, on en profitera pour délocaliser et avoir de meilleurs chiffres - ; en bref c’est ce qui fait <em>la qualité de l’habitation</em> d’une société donnée qui est réduit comme condition de pouvoir en faire le bilan économique, pour que elle soit donc gouvernable (sans bilans, ce serait le chaos). La réduction n’est pas un défaut, c’est une limite, certes, mais qui est condition de scientificité. C’est pareil à notre affirmation selon laquelle la mathématique n’a qu’une seule articulation : c’est ce qui lui permet d’être exacte, sans polysémie (§§ 61-62). Le problème est celui de savoir quelle est la place de l’économie parmi les sciences des structures sociales. Il y a plusieurs sous-scènes, concernant les divers types de structure qui forment des secteurs assez bien différenciés, les transports, l’alimentation et la santé, la construction, etc. Mais trois parmi elles concernent des structures qui traversent tous ces secteurs : le langage (l’école et les médias), l’instance de régulation politique (l’État) et le marché. L’économie ne concerne qu’une sous-scène sociale, celle du marché : ce n’est qu’une science sociale parmi d’autres (la linguistique, les sciences du droit, la démographie, etc.), qui, de <em>jure</em>, doit être comprise par la science globale de la société, la sociologie. Or, celle-ci fait défaut justement en tant que science globale, qui devrait être en mesure de proposer des buts aux autres sciences sociales, et l’économie profite de sa transversalité et de son <em>double bind</em> spécifique, celui de la monnaie, qui se prête à la mathématisation, pour prendre la place vide de science de la société, pour la suppléer. <em>Le néo-libéralisme monétariste, forme dominante de la théorie économique depuis deux ou trois décennies, est assis sur la réduction qui est propre au retrait de la monnaie.</em> C’est donc le discours de la monnaie qui occupe la place de direction de l’ensemble de la société, place qui, après la guerre de 39-45, était occupée par le discours de l’économie politique, dont la portée allait au-delà du seul marché. Or, parmi les facteurs qui comptent pour ses comptes, un seul n’est pas réduit, le capital, qui est de lui-même chiffré en monnaie (quel que soit le propriétaire juridique, qui est réduit, bien sûr). Puisque les hauts lieux du capital sont dorénavant multinationaux, éloignés des unités locales d’habitation d’où ils retirent leurs profits, et puisque en haut le capital prévaut sur la technique et sa pollution possible, le risque de ravages sociaux et écologiques reste un souci des populations, des politiciens et des militants, mais au niveau local : or, c’est ce niveau local qui est réduit par les chiffres statistiques globaux qui seuls intéressent les hauts lieux. Mais justement, c’est le réduit de la scène qui exige qu’il y ait régulation, celle-ci est essentielle à toute scène, on l’aura compris.<br />112. C’est donc l’absence d’une sociologie scientifique susceptible de guider les choix des chiffres à compter par l’économiste (ce type de choix, d’ordre politique, est fait par exemple dans l’élaboration des budgets) qui a comme conséquence que l’économie joue dans les faits le rôle de <em>la</em> science de la société (rôle indispensable, il va de soi, c’est pourquoi c’est très dangereux). Incapable de dépasser les limites de sa réduction, de revenir à la tradition de l’économie politique d’autrefois, elle ignore, de par sa structure monétariste, la loi de l’habitation ou écologie, le souci de la Terre et des vivants, tandis que les tenants du développement durable réclament une approche systémique de ces questions que les économistes, ‘systémiques’ aussi à leur façon et en position hégémonique, empêchent tout à fait, s’il est vrai que leurs critères résident dans les chiffres toujours plus élevés. « Le capital prospère, la société se dégrade », disent Boltanski et Chiapello dans un long et beau livre, où ils réclament un « nouvel esprit du capitalisme » pour que la civilisation soit viable. On pourrait transposer la logique des double binds aux sociétés contemporaines bien plus complexes : la guerre des plus grands chiffres qui se livrent les unités multilocales (ou multinationales) et les dévastations qu’elles provoquent - dans les écologies qui nourrissent les populations et dans leurs emplois – dans les sociétés nationales, plus ou moins impuissantes, mais menacées de l’intérieur par les mécontentements et révoltes inévitables, qui ne manqueront pas d’avoir lieu, tôt ou tard, cette guerre ne peut ne pas avoir des répercussions sur les capitaux financiers eux-mêmes. Le jour n’est sans doute pas loin où l’on devra défendre les propriétés privées des unités locales contre leur multinationalisation avec les mêmes arguments de naguère contre les nationalisations. Le mot de Letamendi en épigraphe - « d’un médecin qui ne connaît que médecine, tu peux être sûr qu’il ne connaît même pas la médecine » - est vrai aussi en ce qui concerne le philosophe, mais c’est bien plus dangereux chez l’économiste. Car l’éco- (oikos, maison), qui donne le nom à sa science tout comme à l’écologie, devrait lier ces deux disciplines dans le même but, à l’instar de la médicine : <em>un but thérapeutique de l’habitation</em>. Il faut sans doute que les économistes trouvent - d’urgence, puisqu’il est déjà trop tard - une ‘économie politique’ adéquate, la thérapie des très graves problèmes que la globalisation est en train de susciter, aussi bien côté pollution et climat que côté faim, maladie et pauvreté de millions de gens.<br /><br /><br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> De même que les expérimentations d’un médicament pour la maladie d’un certain organe d’elles-mêmes ne peuvent pas tenir compte de tous les autres tissus qui peuvent le recevoir dans le sang, de ce qu’on appelle des ‘effets secondaires’, il en faudra d’autres essais.</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8765758382047481882.post-8915314612608262472008-02-18T05:03:00.000-08:002008-02-18T05:07:20.177-08:00Double bind et événement<div align="justify"><strong>Le <em>double bind</em> : l’impossibilité de penser l’événement</strong><br /><br />113. Le <em>double bind</em> est le motif-clé de cette nouvelle phénoménologie. Pris chez Bateson, il a été introduit par Derrida dans sa grammatologie dans <em>Glas. Que reste-t-il du savoir absolu ?</em> (1974), texte qui a assuré un tournant au niveau du style, et ensuite dans <em>La Carte postale, de Socrate à Freud et au-delà</em> (1980). Il l’a souvent repris concernant des questions éthiques et politiques, mais, à ma connaissance, jamais avec les préoccupations ‘ontologiques’ tournées vers les sciences qui ont eu un poids si considérable dans ses premiers textes. Je dois donc en endosser la responsabilité. Levinas, qui pourtant aimait pas l’ontologie, a écrit ceci : "L'œuvre de Derrida, coupe-t-elle le développement de la pensée occidenta­le par une ligne de démarcation semblable au kantisme, qui sépara la phi­losophie dogmatique du criticisme? Sommes-nous à nouveau au bord d'une naïveté, d'un dogma­tisme insoupçonné qui sommeillait au fond de ce que nous prenions pour esprit critique? On peut se le demander. [...] Nouvelle cou­pure dans l'histoire de la philosophie? Elle en marquerait aussi la con­ti­nuité. L'histoire de la philosophie n'est probablement qu'une croissante conscience de la difficulté de penser."<a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a> J’aimerais bien que le lecteur ait trouvé que ce manifeste esquisse un certain bien fondé pour l’affirmation de Levinas. La ligne de démarcation par rapport au kan­tisme est aussi une difficulté croissante de penser : le motif du <em>double bind</em> est le motif de cette difficulté, voire de cette impossibilité. Penser est toujours être devant une aporie, un chemin sans issue pour le penseur : tandis que dans les scènes de ladite réalité ces apories sont ‘résolues’ par ce qu’on appelle ‘événements’.<br />114. En voici trois exemples simples. Une loi indissocia­ble du trafic - pour qu’il y ait des routes et pompes à essence, il faut qu’il y ait beaucoup de voitures (on n’en fait pas seulement pour quelques-unes) – se manifeste inconciliable avec l’autonomie de voyage de tout un chacun dans les embouteillages des grandes villes. Aucun conducteur ne peut ‘penser’ la résolution de l’aporie, doit s’y résigner, à moins que ce soit le président de la république avec ses motards. La loi de la jungle n’est pas non plus maîtrisable par n’importe quel animal, toujours susceptible d’être la proie d’autres quand il doit chercher lui aussi à se nourrir. Mais l’évolution a résolu l’aporie, au prix, certes, de l’extinction d’innombrables espèces. Les champion­nats sportifs ne sont passionnants que quand aucune équipe n’est sûre d’avance de les remporter. Les Globe-trotters, pour ne pas gagner tous les championnats américains de basket-ball, ont été obligés d’en sortir pour faire du cirque.<br />115. De façon tout à fait générale, tout assemblage étant indéterminé à cause des <em>doubles binds</em> qui le constituent, aucun ne peut non plus maîtriser les événements possibles dans sa scène de circulation. C’est ce qui rend l’existence des humains à la fois toujours menacée et exaltante de suspens, le ‘sens’ de chaque vie, comme on dit, étant à décider à chaque grand événement, moyennant des stratégies qui mettent sa compétence à l’épreuve, assurée, d’autre part, l’épargne d’énergie stratégique par des routines, des petites répétitions adaptées. Il <em>faut à la fois être conservateur et capable de risque</em>. Ce mot ‘sens’ rappelle sa bifurcation au départ de ce texte : le langage rend possible de ‘sortir’ du lieu et moment où l’on est, en prendre distance pour le penser entre autres, mais ne permet pas d’annuler la circulation de la scène où il y a beaucoup d’autres et leurs stratégies (y compris des microbes !). Au niveau de chaque vivant, le double bind entre la reproduction des cellules et celle de l’organisme, de sa circulation du sang, chacune devant compter structurellement avec l’autre mais celle-ci inhibant le jeu du métabolisme cellulaire pour qu’il se tienne à sa ‘spécialité’, c’est ce double bind qui semble vaincu lors de l’irruption d’un cancer. Au niveau des textes, c’est dans la poésie qu’il est plus manifeste leur double bind, jouant à la fois avec la loi du signifiant (musicalité du poème) et avec celle du signifié, de la pensée. La philosophie a essayé de maîtriser cette aporie, l’irréductibilité du jeu signifiant, en réduisant les ‘accidents’, les événements qui arrivent dans des lieux et moments plus ou moins circonscrits, qu’on raconte dans des récits : la définition a été son moyen de produire des textes hors des particularités narratives et des ‘je’ et ‘tu’, des textes gnoséologiques d’essences définies et argumentées, inlocals, intemporels, incirconstanciels. Que du langage, sans corporalité signalée : les scènes ont été réduites dans l’écritoire du philosophe. Comme dans les laboratoires des scientifiques, plus tard. Ce qui a impliqué d’effacer les circonstances concrètes de la production de ces textes, de ne pas tenir compte de sa loi de production sur la scène civique de la discussion des savoirs. Cet effacement est structurel, mais il devient un tout petit peu lisible quand les circonstances ont assez changé, l’aporie devient repérable par un autre penseur, c’est elle qui a toujours donné l’élan à l’histoire du savoir. Par-delà la mort des penseurs en leurs lieux et temps de vie, les textes l’ont vaincue, la mort.<br />116. Les trois grandes lignées au-dessus de la gravitation – celle de l’alimentation, celle de l’habitation humaine, celle de l’inscription – sont celles de la victoire sur la fragilité intrinsèque de la vie qu’est la mort. Cette victoire est celle de la répétition, fort stricte, de la trace, sans origine et quasi immortelle : <em>des gènes, des usages, des mots</em>, ce qu’on pourrait appeler, en glosant Derrida, <em>des quasi- transcendantaux</em>.<br /><br /><br /><br /><a title="" style="mso-footnote-id: ftn1" href="http://www.blogger.com/post-create.g?blogID=8765758382047481882#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> “Tout autrement”, L’Arc, nº 54, Jacques Derrida, 1973, p. 33</div>Unknownnoreply@blogger.com0