lundi 18 février 2008

L'entropie de Prigogine

L’entropie de Prigogine

71. Ces phénomènes des oscillations imposent à la phénoménologie de prendre en compte leur dimension énergétique, ce dont les philosophies[1] ni les sciences des phénomènes sociaux et humains n’ont guère l’habitude. Et c’est où la réélaboration du concept thermodynamique d’entropie par Prigogine devient précieuse. Il s’agit pour ce chimiste (Prix Nobel en 1977) de comprendre la possibilité physique de la stabilité d’instances instables qu’il a appelées « structures dissipatives », le métabolisme cellulaire ayant été le domaine de ses recherches. Dans ces phé­nomènes biochimiques qui reçoivent de l’énergie de l’extérieur, prédominent des réactions chimiques non linéaires d'autocatalyse, auto-inhibition et catalyse croisée dans un ensemble de "milliers de réactions chimi­ques simultanées, qui transforment la matière dont la cellu­le se nourrit, synthétisent leurs constituants et jettent vers l'ex­térieur les produits non utilisables". Ces phénomènes ne peu­vent pas être étudiés au seul niveau moléculaire de la chimie établie, il faut considérer l'organisation super moléculaire : les fluctuations qui, au lieu de régresser vers l'état d'équili­bre (selon le 2nd principe de la thermodyna­mique), s'amplifient et envahissent tout le système, qui évolue vers un stade ins­table, loin de l'équilibre, où ces fluctuations restent pourtant structurées de façon dissipative. En contradiction avec le principe d'ordre de la Thermodyna­mique statistique de Bolt­­z­mann, la dis­sipation entropique produit un nouvel ordre, qui n'est intelligible qu'au niveau macroscopique de la cellule et reste indépendant des phénomènes moléculaires microscopiques. Il s'agit donc d'une production d'entropie qui crée de l'ordre instable, ou de la stabilité loin de l'équilibre, loin de l'en­tropie nulle de la stabilité traditionnelle en physique.
72. Si l’on généralise vers la dimension énergétique (entropique) de la scène de circulation d’ ‘agents autonomes’, on peut penser que chaque fois que, historiquement, cette scène se sera trouvée en état de pléthore chaotique, de tourbillon, sans solutions à son niveau, elle en a trouvé (Événement, Ereignis) à travers la constitution d’une autre scène (et donc d’un nouveau tour dans ses mécanismes entropico-formelles d’autonomie à hétéronomie effacée) ; cette nouvelle (sous) scène est instable par rapport à celle d’où elle se déploie, mais douée d’une nouvelle loi et de nouvelles règles, qui lui assurent une circulation stable. Ainsi, le métabolisme cellulaire est d’un autre niveau que celui des molécules inorganiques des champs de la gravitation, et les diverses acquisitions structurelles majeures de l’évolution des vivants - dont la sexualité, l’homéostasie du sang et les réseaux synaptiques des neurones sont parmi les exemples les plus extraordinaires - pourront être éventuellement étudiées comme des nouvelles (sous) scènes dans la scène générale de la jungle. Elles ont été prolongées par l’acquisition de l’utilisation de la main et de la bouche pour les usages techniques et la parole chez les humains (Leroi-Gourhan), et ensuite par les divers niveaux sociaux (agriculture, ville, marché, organisation politique monarchique ou démocratie en Grèce, école, église, et ainsi de suite jusqu’à la révolution industrielle), qui pourront toutes être étudiées comme des productions de nouvelles entropies[2]. Ou des sublimations, en langage freudien. Le motif derridien du supplément permettra de penser, avec l’apport prigoginien, la façon dont les (sous) scènes se déploient les unes à partir des autres.

[1] Derrida, avec ses différe/ances de forces, semble être parmi les exceptions.
[2] En général, l’entropie sera l’énergie retenue de façon stricte par des forces attractives.

Aucun commentaire: